En voyant le drapeau algérien, le sous-préfet fend la foule, fou de rage, et frappe le porte-drapeau. Les gendarmes tirent dans le tas, provoquant une fuite éperdue. Un manifestant est mort, une dizaine d'autres sont blessés. Il est 16h, ce 8 mai 1945 à Guelma, et la manifestation n'a été autorisée que la veille au soir par les autorités, et le sous-préfet a prévenu le comité des AML qui organise cette marche pacifique : "Attention à vous ! Je suis blanc comme le lait. Trop longtemps au feu, je déborde !" En voyant le drapeau algérien, le sous-préfet fend la foule, fou de rage, et frappe le porte-drapeau. Les gendarmes tirent dans le tas, provoquant une fuite éperdue. Un manifestant est mort, une dizaine d'autres sont blessés. Un rescapé, Abdallah Yallès, 86 ans, témoigne : "J'ai pris une balle qui m'a arraché une partie du fémur", en nous montrant sa jambe prolongée d'un pied bot. André Achiary, ancien commissaire de police, sous-préfet de Guelma, organise la répression, réunit les colons et leur dit : "Il faut que vous repreniez votre dignité face à ces pouilleux !" Il ne confie pas la répression aux militaires de la garnison, car les trois compagnies sont composées de tirailleurs algériens qui seront consignés dans la caserne et leurs armes seront confiées aux Européens. C'est la milice populaire qui va rafler les musulmans, les battre, les torturer et les fusiller par centaines après une mascarade de procès expéditif. En début de soirée, des arrestations massives sont opérées et le couvre-feu est instauré. Mohamed Regui est la première victime musulmane. Il sera abattu sous les arcades, au centre-ville, et son cadavre sera exposé de longues heures dans la rue, à la frontière des quartiers arabe et français. Le 9 mai, le sous-préfet fait exécuter à l'intérieur de la caserne les neuf membres les plus importants des AML. Les arrestations se poursuivent partout, et des avions, volant en rase-mottes, bombardent les mechtas et douars et engendrent la mort de centaines de familles de pauvres campagnards. Les prisonniers sont entassés dans un commissariat désaffecté et à la gendarmerie où siège un pseudo-tribunal qui prononce la peine capitale à leur encontre. Chaque matin et soir, des camions emmènent les condamnés qui sont exécutés à l'écart de la ville, notamment à Kef El-Bomba et Hadj-Embarek. Les miliciens abattent froidement des innocents qu'ils traquent. Les cadavres sont arrosés d'essence et brûlés, d'autres disparaissent dans le four à chaux d'un colon à Héliopolis. "Je me souviens de cette odeur comme si c'était hier, on entendait des salves, et puis on voyait une fumée noire monter dans le ciel", nous confie un témoin de cette tragédie, enfant à l'époque. Alors que la paix est revenue dans la région, les meurtres continuent à Guelma pendant un mois environ. Les exécutions sommaires au hasard des campagnes ont remplacé les fusillades. Un octogénaire nous confie qu'une bande de miliciens menée par le maire de Millésimo (actuellement Belkheir) a encore massacré toute une famille de fellahs dans une ferme. Guelma a versé un lourd tribut durant ces tragiques événements qui ont engendré un sursaut nationaliste puisque, le 1er novembre 1954, la guerre de libération nationale a été déclenchée par des hommes aguerris qui ont rejoint le maquis et tenu la dragée haute à l'armée coloniale qui abdiquera quelques années plus tard. Hamid BAALI