En théorie, une fête nationale est une institution. Elle s'impose d'elle-même, du fait de sa signification historique, et commémore un acte individuel ou collectif, un moment décisif pour le destin ultérieur d'une nation. En démocratie, l'institutionnalisation de la fête ne se fonde pas sur la volonté d'un leader, mais sur un consensus dûment recueilli auprès des représentants du peuple. C'est donc à la loi d'organiser le calendrier des commémorations nationales. En régime dictatorial s'ajoute à la célébration des épopées nationales l'expression du culte du tuteur du moment. Ce fut le cas pour notre 19 Juin national. En général, le symbole disparaît avec le commandeur qu'il glorifie. Mais si le 19 Juin a survécu à son auteur, c'est que l'argument du “redressement national” n'a pas été, de l'aveu même des successeurs de Boumediene, supplanté par quelque autre légitimité apte à s'y substituer. En pleine exubérance démocratique, des régimes “élus” avaient besoin de se revendiquer du coup d'Etat de Boumediene et de la légitimité révolutionnaire qu'il exaltait. Il semble que le régime actuel croit pouvoir se passer de la référence, entre-temps devenue contradictoire avec la prétention démocratique du régime. Il fallait que le service attendu de Ben Bella soit si appréciable aux yeux du régime pour qu'on sacrifie un tel acquis de l'autoritarisme, dans des circonstances où personne n'exige son abrogation. D'ailleurs, les Algériens n'exigent plus grand-chose. On ne les a pas consultés pour la légalisation de la fête du 19 Juin ; on ne les aura pas consultés pour sa suppression. Et même si on les consultait, il suffirait d'inscrire la démarche dans notre nouvelle religion faite d'amnistie et de réconciliation pour faire de n'importe quelle question une cause nationale. C'est ainsi qu'on a fait de l'initiative politique d'un groupe un évènement national fêté par tout un peuple, trente-neuf ans durant, avant qu'on ne s'aperçoive que le fait ne méritait pas d'occuper une place dans l'almanach des grands moments de notre Histoire. À moins que ce ne soit une manière d'assouvir la dernière tentation de Ben Bella. Une même famille politique se sera disputée et on l'aura fêté pendant quatre décennies ; la même famille se sera réconciliée et on s'en sera réjoui. Ben Bella a été le premier à s'approprier l'Etat et à en user avec désinvolture. C'est ce qui permet, aujourd'hui, prenant l'oubli pour de la réconciliation, cette rectification à la dérobée. Mais mieux y voir un hommage involontaire à ceux qui, dès juin 1965, et malgré cette malformation originelle de l'Etat, ont payé de leur vie et de leur liberté leur rejet de ce fait accompli, déjà, de trop. M. H.