Le constat général de l'environnement visuel (esthétique) dans le pays est sans appel pour la majorité des visiteurs. Bâtisses éternellement inachevées, espaces verts laissés à l'abondant, bosquets dégradés et parfois livrés à la débouche, accotements de routes et recoins jonchés de détritus de toute sortes ne semblent plus incommoder personne. Dans les nouvelles cités, lorsque des normes urbanistiques incluent des espaces récréatifs, ils sont vite squattés à d'autres fins ou anéantis par le manque de civisme qui va jusqu'à faire paître des animaux, comme les moutons de l'Aïd, par les habitants eux-mêmes. Pourtant, avec les évolutions démographiques et urbanistiques, la question de la végétation dans les villes a quitté les simples considérations de confort immédiat pour être au cœur de la durabilité de la cité. Le pourcentage de population des campagnes relativement aux villes est linéairement décroissant partout à travers le monde. Les dernières données de la Banque mondiale pour les années allant de 2011 à 2015 sont ainsi sans équivoque pour tous les pays, à de rares exceptions. En Algérie, la population rurale passe de 32% en 2011 à 31% en 2012 et 29% pour 2015. C'est simple, 75% des populations du globe habiteront les villes en 2050. Pour notre part, nous serons 82% à cette date selon, World Urbanization Prospects. Plusieurs concepts se trouvent ainsi bouleversés. La ville ne peut être conçue que comme une entité durable et ne peut plus être définie comme une entité minérale en opposition à la nature. La densification du tissu urbain qui amène à une rurbanisation impose désormais une autre analyse du lien entre les modalités d'urbanisation et le besoin de nature des habitants. En un mot, la problématique n'est plus dans un simple apport paysager même s'il est en soi très important. L'écologie urbaine étudie l'ensemble des problématiques environnementales concernant le milieu urbain ou périurbain. Elle vise à limiter et réparer les impacts environnementaux en ville en luttant contre les îlots de chaleur urbains et en limitant les risques d'inondation en constituant des aires de divagation des cours d'eau. Elle favorise la biodiversité végétale et animale dans la cité et participe à la réduction des émissions de gaz à effets de serre. "Ses principaux domaines d'activité sont liés au climat, à la biodiversité, à la consommation énergétique, aux transports dits ‘doux'...". Les besoins d'esthétique et récréatifs découlent de la prise en compte de ces préoccupations. Où sommes-nous ? Ammara Bekkouche, architecte-urbaniste, écrit dans une introduction à la gestion des espaces verts de la ville d'Oran, "la période postcoloniale est marquée par les nouvelles zones d'habitat urbain et la conception des espaces verts introduit les critères théoriques de l'urbanisme moderne dont l'application se fait en l'absence d'une véritable maîtrise d'œuvre et d'ouvrage". En tant que capitale et vitrine du pays, Alger, scotchée aux dernières places des villes les plus sales au monde, offre une image d'une population qui a tourné le dos à la qualité du cadre de vie. En termes d'espaces verts, il est difficile d'établir un constat chiffré pour le comparer aux normes internationales. Le site internet de l'entreprise Edeval (Entreprise de développement des espaces verts de la ville d'Alger), qui gère les espaces verts d'une partie de la wilaya d'Alger (28 communes), n'est pas très fourni en données. La communication est strictement gérée par le cabinet du wali, nos tentatives d'obtenir un rendez-vous, comme d'ailleurs pour l'APPL (Agence de protection et de promotion du littoral), sont restées lettres mortes malgré des emails et des fax. Sur ce site, on apprend qu'il existe 623 espaces verts d'une surface de 1 365 660 mètres carrés, 11 parcs et squares, 87 jardins, 36 places et placettes, 379 points verts, 60 talus, 23 refuges centraux et ronds-points et 21 406 arbres d'alignements. Dix ans après le plan stratégique de développement de la ville (2009-2029) tout reste en chantier, les décharges sauvages sont toujours là, les détritus sont jetés partout, les cités périphériques se dégradent toujours. La loi n°07-06 du 13 mai 2007 relative à la gestion, à la protection et au développement des espaces verts édicte "de faire de l'introduction des espaces verts, dans tout projet de construction une obligation prise en charge par les études urbanistiques et architecturales publiques et privées". Elle définit aussi les espaces d'intervention inhérents au jardin botanique, jardin collectif, jardin ornemental, jardin résidentiel et jardin particulier. Elle va même jusqu'aux entités extra-muros comme les forêts urbaines (bosquets, groupes d'arbres, ceintures vertes) et les alignements boisés le long des routes et autoroutes. Des sanctions pour les auteurs de dégradations et les contrevenants sont aussi prévues, elles vont du payement d'amande à l'emprisonnement. Mais cela ne semble dissuader personne dans un univers marqué par l'inexistence d'une police de l'environnement, le manque de transparence et une justice qui peine à faire exécuter des jugements quand ils sont rendus. Quels sont les enjeux futurs ? Cherif Rahmani, ex-ministre de l'Environnement et de l'Aménagement du territoire, déclarait juste après l'adoption de cette loi que le ratio moyen arrêté en Algérie est de 1,5 m2 (d'espace vert) par habitant, contre 10 m2 par habitant selon les normes internationales, lorsque l'on considère les populations rurales et urbaines. Cette norme s'adressait aux grandes villes de 100 000 à 200 000 habitants et devait être élargie aux villes plus petites afin de tenir compte d'une croissance future. L'indicateur international largement admis pour mesurer l'importance des surfaces consacrées aux espaces verts est le chiffre obtenu en rapportant la superficie totale d'espaces verts d'un territoire donné au total de la population résidant au sein de ce périmètre. Il se décline donc aux niveaux national, régional, communal et du quartier. Il reste à mesurer l'accessibilité pour les populations sans occulter les disparités territoriales. Dans le monde, on peut citer une étude de 2014 an France selon laquelle la moyenne de surface par habitant pour les villes de plus de 50 habitants atteindrait 31 m2 par habitant. D'autres indicateurs sont aussi utilisés, comme le nombre d'arbres d'alignement pour 1000 habitants, ou le rapport entre surface bâtie et surface végétalisée (le coefficient de biotope (Allemagne, Suède). 95% des habitants de Stockholm disposent d'un espace vert (d'une superficie d'au moins 1000 m2) à moins de 300 mètres de leur lieu de résidence. Un schéma stratégique de développement d'une ville qui placerait les espaces verts récréatifs à des distantes automobiles ne peut jouer pleinement son rôle dans l'amélioration de la santé et du cadre de vie, d'atténuation des nuisances sonores et l'équilibre écologique et climatique. R. S.