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Enfin libres !
Après près d'un mois de détention de ryad Hartouf, de Mehdi Hatem Benaïssa et de Nouria Nedjaï
Publié dans Liberté le 19 - 07 - 2016

Les avocats de la défense n'ont pas manqué de dénoncer le recours intempestif à la détention arbitraire et le tout-carcéral alors que les prévenus présentaient réellement toutes les garanties.
Le tribunal de Sidi-M'hamed à Alger a rendu hier son verdict dans l'affaire KBC en prononçant des peines avec sursis et des amendes. Ainsi, Mme Nouria Nedjaï, directrice au ministère de la Culture, a écopé d'une année de prison avec sursis et d'une amende de 100 000 DA. Quant à Mehdi Hatem Benaïssa, directeur de KBC et gérant de Ness-Prod, et Mohamed Ryad Hartouf, directeur de production de la chaîne de la télévision privée, il leur a été infligé, chacun, six mois de prison avec sursis et une amende de 50 000 DA. Inculpés pour "fausses déclarations", "obtention illégale d'un document officiel", "abus de fonction" et "complicité dans abus de fonction", les trois détenus ont été mis sous mandat de dépôt le 23 juin dernier. En l'absence de plaignant ou de partie civile, un "boulevard" s'est ouvert aux plaidoiries, du reste, brillantes des avocats.
L'intervention grossière du pouvoir dans cette affaire KBC a été, ainsi, mise en relief par les nombreux vices de forme et autres entorses à la loi. Il a été ainsi démontré à la barre que les dispositions juridiques prises en considération pour leur inculpation sont complètement inappropriées.
Par exemple, l'invocation de l'article 33 de la loi 06-01 du 20 février 2006 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption est inadéquate puisque cette disposition aborde la question du blanchiment d'argent. Concernant l'autorisation de tournage, celle-ci n'existe dans aucun texte de loi.
Exigée, il est vrai, pour les prises de vue à l'extérieur, c'est-à-dire dans des lieux publics, l'autorisation n'est pas indispensable dans un espace privé. Interrogée sur l'ancrage juridique de ces autorisations,
Mme Nedjaï a mis en exergue le dispositif réglementaire prévu à cet effet, et ce, non sans ajouter la circulaire du Premier ministre, Abdelmalek Sellal, qui exige des administrations de faciliter les démarches des administrés et de lutter contre la bureaucratie. Le juge voulait savoir si la fonctionnaire du ministère de la Culture aurait perçu une contrepartie en échange de la signature des autorisations de tournage : "Jamais au grand jamais au cours de toute ma carrière !", s'est-il entendu répondre. Ainsi, en dépit de plusieurs témoignages qui établissent nettement l'innocence de Mme Nedjaï, celle-ci, une mère de famille, a été jetée en prison en plein mois sacré de Ramadhan. "C'est haram !" (péché) s'est fendu un avocat presque en larmes. "Comment connaissez-vous,
Mme Nedjaï ?" a demandé alors le juge à Mehdi Benaïssa. "Je la connais d'abord comme artiste peintre comme je connais le ministre de la Culture qui est, lui, précisément, auteur", a-t-il répondu. Retournant la question à Mme Nedjaï, celle-ci a présenté Mehdi Benaïssa comme un professionnel connu et un producteur dans l'audiovisuel qui a été de surcroît membre durant plusieurs années de la commission de lecture et d'évaluation financière du Fonds de développement de l'art, de la technique et de l'industrie cinématographiques (Fdatic) placé auprès du ministère de la Culture. On apprendra que dans le cadre de l'enquête judiciaire diligentée "bizarrement" par la Gendarmerie nationale, à en croire un avocat, il a été procédé à l'exploitation des communications téléphoniques par l'Institut de criminalistique et criminologie, de Bouchaoui qui, semble-t-il, n'a abouti à aucun résultat probant. S'agissant de Mohamed Ryad Hartouf, celui-ci a déclaré n'avoir rencontré pour la première fois Mme Nedjaï que lors de la présentation chez le juge d'instruction. Il expliquera au juge que son travail consiste essentiellement à assurer la logistique aux productions audiovisuelles, et ce depuis son recrutement à Ness-Prod, il y a à peine 2 mois.
Où est passée la Constitution ?
Les avocats de la défense ne manqueront pas de dénoncer en outre le recours intempestif à la détention arbitraire et le tout-carcéral alors que les prévenus présentaient réellement toutes les garanties.
La Constitution adoptée récemment prévoit que la détention préventive serait prononcée à titre exceptionnel et non à tout-va ! Ils feront valoir dans leurs plaidoiries l'absence totale du principe de la présomption d'innocence.
Et un détail va illustrer cet acharnement policier et juridique qui met à mal "l'Etat civil" : Mehdi Benaïssa a fait l'objet d'une interdiction de sortie du territoire national (ISTN), et ce avant même qu'il ne soit déféré devant un juge. "C'est la pratique judiciaire qui doit imposer les beaux principes contenus dans notre nouvelle Constitution", s'est écrié à ce sujet un avocat à l'adresse des magistrats. Ces derniers ont voulu, semble-t-il, défendre hier à leur manière "l'indépendance de la justice" et "la séparation des pouvoirs" qui ne peuvent plus rester en Algérie de simples mots ou des références creuses pour les cours de droit, voire un vulgaire cheval de Troie, un moyen détourné qui permet au maître de céans d'avoir toutes les institutions à sa botte. Réagissant à ces condamnations, Christophe Deloire, secrétaire général de l'ONG Reporters sans frontières (RSF), s'est montré néanmoins insatisfait. Et pour cause ! Il a dénoncé, hier, dans un communiqué "un jugement caricatural et outrageant", car ce type de litige aurait dû être traité en premier lieu par l'Autorité de régulation de l'audiovisuel (Arav), mise en place le 20 juin dernier, il ne devrait jamais mener à des peines d'emprisonnement, même avec sursis.
RSF a saisi ce jugement pour rappeler les nombreuses pressions que le groupe de presse El-Khabar a subi depuis plusieurs semaines comme l'annulation par la justice algérienne de la vente des parts du groupe à Ness-Prod, filiale du groupe industriel Cevital. "Cette transaction aurait pu assurer la pérennité du groupe de presse arabophone indépendant de référence", conclut RSF qui signale que l'Algérie caracole à la 129e place sur 180 dans le classement 2016 de la liberté de la presse, publié par RSF. Il est à signaler hier la présence au procès de l'affaire KBC de plusieurs éditeurs de presse, des journalistes, des chroniqueurs, des artistes, des ténors du barreau et de simples citoyens qui ont tenu à assister à l'audience en soutien non seulement aux détenus mais aussi à la liberté d'expression dans notre pays. Une affaire qui concerne tout le monde !
Réactions
Me Noureddine Benissad, président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'Homme (Laddh) : "À chaque fois qu'un Algérien retrouve la liberté on ne peut qu'être heureux. De plus, ces gens-là, leur place n'est pas en prison, ce ne sont pas des délinquants. Nous sommes donc heureux qu'ils retrouvent leurs familles, leurs amis, leur travail."
Mustapha Nedjaï, artiste peintre et époux de Mme Nouria Nedjaï née Labbaci : "Que la justice triomphe, que la justice indépendante triomphe !"
Mohamed-Chérif Lachichi


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