La mine défaite et l'allure d'arpenteurs de grands espaces, marchant furtivement presque sur la pointe des pieds, ils dégagent l'impression de personnes évanescentes, échappant à quelque chose qui semble les rattraper. Ils se déplacent par petits groupes, à la limite de la discrétion. Ils s'effacent à la vue de la foule et se fondent aussitôt dans l'anonymat des artères de la ville d'Oran. “Ils”, ce sont les immigrants clandestins africains qui viennent s'échouer sur les rivages de la capitale de l'Ouest, attendant que sonne l'heure de leur gloire. Ils sont les soutiers des temps modernes, les ilotes déchus du rêve africain si cher au discours des dirigeants tiers-mondistes. Ils n'ont pas choisi Oran pour ses attraits touristiques ni pour son cachet de ville tolérante. Les Africains subsahariens sont ici pour rallier Maghnia. Un point, c'est tout. Ils caressent tous le secret espoir de traverser un jour la frontière algéro-marocaine pour l'Eldorado espagnol. Depuis une année, les clandestins africains qui réussissent à atterrir à Oran ont toutes les “chances” de se retrouver de l'autre côté du pic de Tanger. Ils arrivent par vagues successives et tentent le tout pour tout. Mais en attendant, il faut survivre et tisser des contacts pour le grand jour. Tapis le jour dans quelques miteux hôtels de la ville, des candidats à l'émigration clandestine sont discrètement “employés” le soir comme manœuvres dans le bâtiment. Corvéables et malléables, dociles et ne rechignant pas à la besogne, les “harraga” africains échappent à tout contrôle et sont tout bénéfice pour les patrons qui les surexploitent et les sous-payent. D'autres Africains, à l'exemple des Maliens, travaillent clandestinement dans les arrière-boutiques de certains ateliers de confection. “Les Maliens sont surtout “employés” dans la confection où ils excellent dans la broderie dite “mali” qui fait un tabac chez nos voisins marocains et tunisiens”, affirme un commerçant du centre-ville. Mais pour certains d'entre eux qui finissent par tomber dans les mailles des filets de la police, le voyage prend fin à El-Bahia. Selon des statistiques fournies par la Gendarmerie nationale, 377 personnes en situation irrégulière ont été arrêtées au cours de l'année écoulée à Oran, contre 87 arrestations opérées dans des hôtels de la ville pour le seul mois de janvier 2005. “En déplacement constant, il est difficile de tenir des statistiques précises sur le mouvement des immigrants clandestins”, indique un responsable de la Gendarmerie nationale. En effet, les immigrants africains qui séjournent à Oran n'y font pas de vieux os. “Dans la plupart des cas, il s'agit d'Africains provenant de Tamanrasset via Alger. Ils voyagent souvent en train afin d'éviter les contrôles routiers”, nous précise-t-on par ailleurs. Leur “séjour” à Oran ne dure que le temps de nouer des contacts à Maghnia pour la grande aventure qui les mènera peut-être en Espagne. Des immigrants clandestins sont des habitués et prennent en charge leurs compatriotes qui tentent pour la première fois le saut dans l'inconnu. Alasane est un Sénagalais qui a “fait” plusieurs fois le Maroc. Arrêté par les gardes frontières marocains, il sera expulsé en Algérie où il subsiste grâce à ses connaissances de passeur. Alasane n'a pas de domicile fixe. À Oran, il charge son rabatteur de localiser les éventuels candidats à l'émigration clandestine. Difficile de percer le secret qui entoure les opérations de passage vers le Maroc. L'objectif visé par les immigrants clandestins est immuable. Il consiste à passer de l'autre côté de la barrière inexpugnable de fil barbelé séparant le Maroc et l'Espagne. Se retrouver à Ceuta ou à Melilla, deux présides espagnols enclavés au pied de la ville marocaine de Tétouan, est un exploit. C'est la clé de sésame qui ouvre les portes de l'Europe du Sud. B. G.