Avec près de 4 millions de moutons sacrifiés en cette fête de l'Aïd el-Adha 2016, ce sont environ 2 millions de dollars qui ont été perdus à cause du manque d'organisation en termes de collecte des peaux. Révolu le temps où les femmes algériennes tannaient, elles-mêmes, à coups de pierre ponce et de cristaux ou de gros sel, les peaux de mouton pour en faire des toisons qu'elles destinaient à l'ornement de leurs maisons, ou qu'elles réservaient à la dot de la future mariée. Aujourd'hui, les peaux de ces ovins sont carrément jetées à la poubelle, parfois même sans aucune mesure d'hygiène. C'est du moins ce qui est constaté dans plusieurs cités et autres quartiers de la capitale. Le phonème n'est d'ailleurs pas moins visible un peu partout ailleurs. Avec ces pratiques qui reflètent aussi une anarchie sans précédent, c'est aussi et surtout la filière du textile qui en fait les frais, qui souffre d'un manque à gagner puisque ces peaux, qui sont normalement destinées à la transformation, ne sont pas récupérées et, du coup, occasionnent une perte sèche dont le pays aurait souhaité faire l'économie en ces temps de vaches maigres. À ce propos, Amar Takjout, président de la Fédération textile et cuir de l'UGTA pointe un doigt accusateur en direction des pouvoirs publics, leur reprochant "une grande défaillance en la matière". Le syndicaliste sait pertinemment de quoi il parle. Il a les arguments pour justifier son accusation. "Il n'existe aucune organisation comme cela se fait sous d'autres cieux, y compris chez nos voisins, qui consiste à mener un travail de sensibilisation auprès du consommateur pour lui faire comprendre que l'abattage doit se faire selon des normes et de façon à ne pas détériorer la peau qui, dans le cas contraire, perd de sa valeur et peut même devenir inutilisable. Il faut aussi dégager des points (locaux) précis pour entreposer les peaux, et ce, dans chaque commune." Notre interlocuteur n'épargne aucune partie concernée et poursuit : "Les opérateurs doivent aussi accomplir la partie qui leur est due en faisant du lobbying car c'est de la matière première de grande valeur et très demandée aussi bien au niveau national qu'international." C'est, en fait, une valeur inestimable dans la mesure où les quatre millions de moutons sacrifiés en cet Aïd el-Adha 2016 - c'est à peu près la moyenne des ovins sacrifiés chaque année - correspondent à environ deux millions de dollars en termes de collecte de peaux et de tout ce que cela peut engendrer comme industrie. La Fédération UGTA du textile, pour sa part, n'a pas manqué d'accomplir la mission qui lui incombe en lançant un appel aux pouvoirs publics, prônant certaines initiatives à même d'améliorer la situation et d'aider la filière en amont. M. Takjout explique dans le détail qu'"il faut initier un mécanisme pour assurer un meilleur suivi et contrôle des éleveurs (cheptel) en plus de la mise en place des abattoirs dans les communes et les daïras notamment dans les wilayas agropastorales, sans oublier le reste du pays" et d'ajouter : "Dans l'interface, il faut créer des entreprises et encourager la collecte des peaux de manière à favoriser l'émergence de spécialisation dans le domaine." Pour cela, notre interlocuteur préconise "la conclusion de convention avec lesdites entreprises et les transformateurs pour assurer le bon fonctionnement de toute la chaîne". Relance du secteur : les moyens financiers sont insuffisants en l'absence de formation "Le métier du tissage ne devrait pas disparaître surtout que l'Algérie a investi beaucoup plus dans le tissage que dans la confection. Le hic c'est qu'on devrait produire en amont ce qui n'est pas le cas. Or, le pays exprime un besoin de 500 millions de mètres linéaires de tissu par an alors que nous produisons à peine 25 millions. Cela signifie que nous sommes très loin des objectifs fixés alors que l'Etat a mis les moyens financiers pour la relance du secteur sans penser à la formation et à la relève de ceux qui sont partis à la retraite et ils sont très nombreux, on peut même parler de saignée." Un déficit qui en dit long sur l'avenir incertain qui plane sur cette filière que notre interlocuteur formule en termes explicites. "Nous sommes en perte de vitesse par rapport aux projections de la relance" et de poursuivre : "Il faut penser aux mécanismes à mettre en place pour réussir cette relance et cela est loin d'être possible en l'absence d'établissements de formation alors que cela existait auparavant." Il finit par déplorer "le plus grand souci dans toute la démarche c'est qu'il n'existe aucun bilan". Un état de fait auquel vient s'ajouter le problème de la concurrence des produits étrangers (importation) qui, en vingt ans, a généré la perte de pas moins de 250 000 postes d'emploi. Nabila Saïdoun