Le risque de s'abandonner au narcissisme plane sur la tête de tous les leaders. Cette tendance assez naturelle peut avoir des conséquences catastrophiques sur leur aptitude à influencer leurs collaborateurs. Y faire face suppose une bonne dose d'humilité. Une qualité hélas bien peu présente chez la plupart des managers. Comme la plupart des habiletés managériales, le leadership a son côté obscur : le narcissisme. À l'extrême, le manque d'humilité peut conduire les leaders à devenir paranoïaques, voire tyranniques. Manfred Kets de Vries, le célèbre professeur de leadership development à l'Insead, a été l'un de ceux qui ont le mieux sondé cet aspect Dark Vador du leadership. Manfred de Vries a mené une recherche qui l'a mené à des conclusions précises sur cette question, reprises dans un article publié en 2003 sous le titre Dysfunctional leadership (1). Il y montre que la plupart des leaders hésitent à reconnaître les dérives dans leur comportement, étant peu conscients de l'impact des pressions psychologiques de leur travail sur leurs relations avec leurs collaborateurs avec, in fine, des effets désastreux et sur l'entreprise et sur eux-mêmes. Parmi les pressions psychologiques les plus fréquentes que subissent les leaders, Manfred de Vries en a identifié quatre qui lui paraissent particulièrement dangereuses. La solitude du chef (loneliness command) est l'une d'entre elles. À mesure que le chef grimpe vers le sommet de la hiérarchie, il devient sujet à une forme de stress dû au fait que ses réseaux de soutien traditionnels se modifient et ses relations avec ses collègues deviennent plus distantes. La soif du pouvoir (addiction to power) s'exprime par la peur de perdre une position chèrement acquise. Ce qui peut amener le leader à commettre des actes malveillants. La crainte des envieux (fear of envy), quant à elle, consiste à se méfier exagérément des possibles concurrents. Ce qui, selon les mots de Manfred de Vries, peut provoquer chez le leader des comportements autodestructeurs pouvant "transformer une victoire en défaite". Enfin, le syndrome du ‟Et maintenant" (the experience of ‟What now") exprime la forme de dépression que ressentent les leaders arrivés au fait de leur ambition et ne trouvant plus d'objectif suffisamment chalengeant pour eux. Ces pressions psychologiques conduisent les leaders à développer des formes de narcissisme provoquant du stress, de l'angoisse, voire de la dépression, causant des comportements irrationnels et irresponsables. Certains estiment que l'humilité et le leadership seraient antinomiques. En observant les grands leaders, on constate au contraire qu'ils partagent tous une même qualité et c'est précisément l'humilité ! Mais peut-on alors lutter contre le narcissisme ? Dans un blog posté au mois d'août 2016, Annet Aris, professeure de stratégie à l'Insead, nous propose trois antidotes au narcissisme qu'elle exprime sous forme de questions que le leader doit constamment se poser. La première question c'est de se demander s'il est entouré de suffisamment de voix critiques. Ces voix critiques peuvent venir de différentes directions : ses collaborateurs, ses conseillers, des membres du conseil d'administration... qui peuvent avoir des opinions différentes de celles du leader. Est-il suffisamment conscient des forces de l'adversité de son environnement, est la seconde question que le leader doit se poser. Comprendre qu'il ne pourra jamais tout contrôler amènera le leader à davantage d'humilité en jugeant moins les autres. Enfin, la troisième question consiste à vérifier s'il ne s'est pas coupé du monde. Ce qui devrait l'amener à oser ‟sortir de sa tour d'ivoire" en rencontrant plus fréquemment les opérationnels de l'entreprise, ses clients, les concurrents... Il s'agit en fait de ne pas perdre le sens des réalités. Comme partout ailleurs dans le monde, les managers algériens peuvent aussi succomber au narcissisme. Dans l'entreprise algérienne c'est même plutôt endémique. Mais, pour avoir accompagné un certain nombre d'entre eux, le rédacteur de ces lignes peut témoigner du fait que ceux qui ont eu les plus grands succès dans leur leadership sont ceux qui pratiquent l'écoute active et ne craignent pas d'avouer leurs limites. Une humilité qui s'exprime à travers l'attention portée aux personnes, l'aptitude à reconnaître ses erreurs, la capacité à féliciter ceux qui réussissent. C'est précisément cette qualité qui les a rendus grands et respectés par leurs collaborateurs. Du reste, éviter l'arrogance n'est-il pas un des principes forts dans nos références spirituelles ? À ce propos, rappelons-nous le verset de la sourate Luqman où celui-ci, s'adressant à son fils, lui dit : "Ne détourne pas ton visage des hommes, et ne foule pas la terre avec arrogance : car Dieu n'aime pas le présomptueux plein de gloriole" (31/Luqman-18). S. S. 1 - https://flora.insead.edu /fichiersti_wp/inseadwp2003/2003-58.pdf