L'image du leader est souvent associée à une personnalité charismatique et magnétique ; donc forcément extravertie. Pourtant, des réussites exceptionnelles ont été le fait de managers très introvertis. Faut-il donc remettre en question les conceptions classiques de leadership et découvrir que l'aptitude à conduire les hommes est à la portée de personnalités diverses et pas seulement les extravertis ? Dans son célèbre ouvrage De la performance à l'excellence (1) paru en 2001 sous le titre original "Good to Great", Jim Collins révélait que la plupart des entreprises qui étaient au top des performances étaient dirigées par des patrons au caractère plutôt introverti. En analysant ces entreprises aux performances exceptionnelles, il avait en effet découvert qu'elles présentaient une caractéristique commune : leurs patrons ne se distinguaient pas par un flair des affaires singulier, ni par un charisme particulier ; mais tous montraient une extrême humilité et une forte détermination professionnelle. Leurs collaborateurs les décrivaient comme des personnes calmes, modestes, réservées, polies, discrètes et dénuées d'arrogance. Jim Collins en tirait la conclusion qu'il n'était pas nécessaire d'avoir des personnalités hors-normes pour transformer les entreprises : "Nous avons besoin de leaders pour bâtir des organisations et non pour développer leur égo." Autrement dit, nous avons davantage besoin de personnalités introverties comme leaders. Dix années plus tard, un livre passionnant — vite devenu un best-seller, vendu à plus de deux millions d'exemplaires — a totalement confirmé les intuitions de Jim Collins. Dans La force des discrets. Le pouvoir des introvertis dans un monde trop bavard (2), Susan Cain, une Américaine avocate de formation, démontre que l'image du leader charismatique est en réalité un mythe. Selon l'auteure, c'est l'industrialisation et le capitalisme dur qui ont progressivement imposé ce qu'elle appelle une "culture de la personnalité" basée sur un système de valeurs qu'elle nomme "l'extraverti idéalˮ. L'archétype de l'extraverti est ainsi une personne qui privilégie l'action à la réflexion, décide rapidement, même au risque de se tromper, doute peu et est à l'aise dans le groupe. Dans cette culture de la personnalité, les introvertis trouvent difficilement leur place. Alors qu'avant l'industrialisation, c'est une "culture du caractère" qui prévalait dans laquelle ce sont les valeurs d'intégrité, d'honneur et de sens moral qui sont plébiscitées. Or, ce sont précisément ces valeurs, qu'on retrouve plus généralement chez les personnes introverties, qui font les leaders authentiques. Et cela, parce que ce type de caractère favorise l'écoute et incite à faire davantage confiance à ses collaborateurs. Parmi de nombreux cas de leaders introvertis, Susan Cain cite les figures de Bill Gates, le fondateur de Microsoft, Larry Page, le patron de Google ou Mark Zuckerberg, celui de Facebook. Dans un TED Talk visionné par plus de 12 millions de personnes, Susan Cain fait aussi référence aux grands prophètes comme personnalités introverties, en particulier Mohammed (SWS) dont on connaît la force da la dimension intérieure dans la formation de son caractère. Selon Susan Cain, plus d'un tiers de la population des Etats-Unis serait composée de personnes introverties. Ceux qui ont une certaine expérience de l'environnement de l'entreprise algérienne pourront facilement conjecturer que chez nous cette proportion est beaucoup plus élevée. La plupart des cadres dans nos entreprises sont des personnes plutôt discrètes qui ne se manifestent que lorsqu'on les sollicite. Même très compétents, leur réserve naturelle ne les incite pas à se mettre en lumière... et sont ainsi les derniers à être promus ! C'est le rôle de managers éclairés de gratter la surface de la personnalité de leurs collaborateurs pour déceler leur vrai potentiel. Ils pourront ainsi découvrir un gisement important de dynamisme et de créativité. Ce faisant, ils feront preuve de leadership authentique. S. S. 1 - De la performance à l'excellence : devenir une entreprise leader. Jim Collins. Editions Pearson. 2001. 2 ) La force des discrets. Le pouvoir des introvertis dans un monde trop J. C. Lattes. 2013. Titre en anglais : Quiet. The Power of Introverts in a World That Can't Stop Talking.