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"Non ! Abane Ramdane ne s'est pas trompé, il a été liquidé !"
Hamou Boumedine répond à Ferhat Mehenni
Publié dans Liberté le 03 - 11 - 2016

Dans un message adressé le 22 octobre 2016 à l'exécutif du MAK, et publié sur l'agence Siwel, M. Ferhat Mehenni a déclaré ce qui suit : "La deuxième remarque qu'appelle cette séparation entre l'intérieur et l'extérieur est le fait qu'en son temps déjà, Abane Ramdane avait réalisé combien il s'était trompé sur ce principe. Trois mois après le Congrès de la Soummam, il s'était retrouvé pour de bon à Tunis où il avait fait fi de ce qu'il avait énoncé à Ifri. Il était le leader naturel et incontesté de la Révolution et personne de l'intérieur n'aurait osé protester contre une de ses décisions prises à partir de l'extérieur."
Ma première remarque vient dans le rétablissement de la vérité sur les dates. Contrairement à ce qui a été dit, Abane Ramdane ne s'est pas trouvé à Tunis 3 mois après le Congrès de la Soummam (tenu le 20 août 1956 à Ifri). Il a quitté Alger le 27 février 1957, suite à la répression sanglante conduite par le commandant des parachutistes français, le général Massu, en réponse à la grève générale de huit jours, lancée le 28 janvier 1957 par le CCE du FLN, à la veille de l'examen, par l'assemblée générale de l'ONU, de la question algérienne.
Cette réaction des forces coloniales s'est soldée par l'arrestation et l'assassinat de Larbi Ben M'hidi le 23 février 1957 et le démantèlement de la première direction de la ZAA (Zone autonome d'Alger). Autre précision, Abane Ramdane n'a pas rejoint directement Tunis, il a été exfiltré, avec son compagnon du CCE, Saâd Dahleb, vers le Maroc par le colonel Sadek, dont le PC (poste de commandement) était installé à Chréa, et ce, après un périple de deux mois et demi dans les maquis.
Cet épisode est connu aussi par l'action courageuse du couple Claudine et Pierre Chaulet dans le sauvetage des deux dirigeants du FLN. Les autres membres du CCE, Krim Belkacem et Benyoucef Ben Khedda, ont, pour leur part, rejoint directement Tunis.
Dès son arrivée au Maroc le 21 mai 1957, Abane Ramdane a eu une activité intense tant sur le plan politique que diplomatique, et le 30 mai il est reçu, avec son compagnon du CCE, Saâd Dahleb, par le roi Mohammed V. Ce passage au Maroc, lui a permis de constater, non sans les dénoncer à l'occasion de la réunion du CCE de juillet 1957, les pratiques policières et le climat de terreur installé par Abdelhafidh Boussouf.
Donc, pour revenir à son passage à l'extérieur, Abane Ramdane n'est resté, en dehors de l'Algérie, que de la période allant du 30 mai 1957 au 27 décembre 1957, date de son assassinat dans des conditions affreuses au Maroc, inaugurant ainsi le crime politique dans l'histoire du FLN.
Ma deuxième remarque, sur le fond, porte sur cette volonté de faire renier à Abane Ramdane l'un des principes qui lui a valu l'assassinat. En effet, soutenir que "Abane Ramdane avait fait fi de ce qu'il a énoncé à Ifri" est un mensonge intolérable, une dérive d'un nouveau genre car de toutes les attaques qu'il a eu à subir, de son vivant comme après sa mort, aucun ne s'est hasardé à porter atteinte à l'attachement qu'il avait de ses principes politiques.
Aussi bien ses adversaires que ses amis de combat, tout le monde s'accorde à lui reconnaître l'inflexibilité aux principes, pour ne pas dire l'entêtement. Est-il besoin de rappeler que c'est lui qui a affirmé, dans le rapport qu'il a soutenu au cours de la 1re réunion du CNRA tenue le 27 août 1957 au Caire : "Là, encore on a trouvé à redire. Pourtant ce principe (la primauté de l'intérieur sur l'extérieur) est encore valable pour une foule de raisons dont la moindre est qu'une Révolution comme la nôtre ne peut être dirigée que par des hommes qui la vivent et indiscutablement on ne peut vivre la Révolution algérienne qu'à l'intérieur des frontières de l'Algérie." Ce principe, comme celui de la primauté du politique sur le militaire, nous le savons aujourd'hui, a fait l'objet d'une remise en cause au cours de cette même réunion du CNRA. "Le bilan présenté par Abane fut bien ratifié malgré toutes les critiques proférées contre lui en coulisse. Mais surtout, le CNRA du Caire se solda par des décisions qui renversaient les principes de la Soummam et qui instituaient cette loi non écrite de toute Constitution algérienne en vigueur depuis 1957 : ‘Nul pouvoir civil sans le contrôle des militaires.' Non dit, ce principe allait avoir la vie dure".
Et là, j'en viens à ma troisième remarque sur cette idée avancée, de manière légère, selon laquelle Abane Ramdane avait une autorité qui lui conférait un pouvoir tel "que personne n'aurait osé protester contre une de ses décisions prises à partir de l'extérieur". D'abord, ce qu'il faut savoir, c'est que même les décisions qu'il avait prises de l'intérieur, dans le cadre du CCE issu du Congrès de la Soummam, ont fait l'objet d'une remise en cause. Un seul exemple : les "militaires" lui avaient fait porter, seul, la responsabilité des exactions subies après la grève des huit jours.
Après la mort de Larbi Ben M'hidi, son principal allié politique, et le choix de Krim Belkacem de s'allier aux militaires, Abane Ramdane a perdu l'essentiel de son pouvoir et son autorité a décliné. Comme le note Mohamed Harbi dans son ouvrage FLN, mirage et réalité : "Sixième membre du cercle, qui dans le CCE, détient le pouvoir réel, Abane perd tout droit de regard sur les questions militaires pour ne s'occuper que du journal El Moudjahid. Cela ne signifie pas qu'il n'est pas associé à d'autres activités, mais il est désormais présent comme auxiliaire et non en tant que partenaire."
La question est alors de savoir pourquoi les chefs militaires en sont arrivés à la liquidation physique d'Abane Ramdane bien que ce dernier ait été déjà dépouillé politiquement de ses principaux soutiens ? Quelles avaient été leurs motivations, ou mieux, leurs appréhensions ? On peut se laisser convaincre par la thèse "psychologique" et ne retenir que le caractère colérique d'Abane Ramdane. Mais cette thèse est incapable de rendre compte de toutes les dissensions vécues dans la direction du FLN et ne représente, loin s'en faut, que la partie apparente de l'iceberg. Abane Ramdane était entré, en réalité, en dissidence après la remise en cause politique des résolutions du Congrès de la Soummam dont il avait été l'architecte principal. Et c'est parce qu'il ne s'était jamais résolu à accepter sa défaite que les chefs militaires avaient décidé de l'éliminer physiquement. Comme le souligne Gilbert Meynier : "... pour Abane, les replis sur Tunis ou Le Caire n'étaient que provisoires. Le principe soummamien de la supériorité de l'intérieur sur l'extérieur faisait partie d'une vraie ligne politique, puisée dans l'histoire des mouvements de libération dont ses innombrables lectures l'avaient rendu familier."
Considérer que l'homme qui tenait ses adversaires pour des "révolutionnaires de palace" est capable de se renier ou, à tout le moins, imaginer qu'il s'est trouvé une raison pour s'installer "pour de bon" à l'extérieur, est pour le moins hasardeux en terme de conclusion. Un leader politique peut se donner les arguments qu'il veut pour justifier son exil, choisi ou imposé. Il appartient, en dernier ressort, à ses militants de les accepter ou de les réfuter. Mais aller triturer l'histoire d'une Révolution et dénaturer le parcours de celui qui a payé de sa vie la fidélité à ses principes dans le seul but de justifier sa propre situation, aussi "inconfortable" soit-elle, est, je regrette M. Ferhat Mehenni, une démarche moralement inacceptable et politiquement douteuse.
Il y a une année, dans les mêmes colonnes de ce journal, je dénonçais les propos outrageants de M. Daho Ould Kablia sur Abane. J'étais, je l'avoue, loin d'imaginer que j'en arriverai un jour à le faire face à vous. Un peuple, avant que ça soit un avenir, est d'abord une mémoire collective qui préserve ses mythes fondateurs. C'est ce que j'appellerai, en restant à l'échelle de la responsabilité individuelle, apprendre à se reconstruire sans aller jusqu'à détruire les siens.
H. B.


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