C'est grâce à un numéro de téléphone découvert par hasard que la filière a été démantelée. Ce qui n'était qu'une simple hypothèse est aujourd'hui confirmée par des faits et a conforté davantage les informations qui étaient jusque-là en possession des services algériens chargés de la lutte contre le trafic de drogue. Les Marocains sont bel et bien les principaux pourvoyeurs des trafiquants de drogue algériens. Pour la première fois, les services chargés de la lutte contre le trafic de drogue ont pu parvenir à l'identification d'un important réseau d'Algériens activant avec des ressortissants du royaume. Cette découverte fait suite à la saisie de quelque 600 kg de kif, la veille de l'Aïd El-Fitr, dans la région de Naâma. Liberté a pu reconstituer les différentes étapes des investigations des gendarmes qui ont mis des semaines avant de pouvoir percer le secret de ces réseaux tissés comme une toile d'araignée. Tout a commencé le 3 décembre 2002 vers 1h du matin lorsque des militaires en patrouille dressent une embuscade après avoir remarqué les phares d'un véhicule circulant à vive allure, près de Mécheria. Dès son arrivée à hauteur des militaires, le conducteur a rebroussé chemin et s'est enfui. Le lendemain, le véhicule, une Toyota Station, est retrouvé par un Patriote abandonné dans un oued, non loin du lieu de l'embuscade. Ses occupants ont dû sans doute l'abandonner en raison de l'état rocailleux de la piste empruntée pendant leur fuite. Lors de la fouille de ce véhicule, les militaires ont découvert pourquoi son conducteur a pris le large à la vue des services de sécurité : quelque 600 kg de kif traité emballés dans des sacs en plastique s'y trouvaient. Le véhicule avait une fausse plaque d'immatriculation qui correspondait à une Nissan de Sonatrach. Même le numéro du châssis a été altéré. Un spécialiste a pu toutefois retrouver le véritable numéro de série et, grâce aux services des douanes, les enquêteurs ont découvert que cette Toyota a été importée de Dubai par un Algérien, qui sera identifié par la suite comme étant le principal fournisseur des réseaux en véhicules tout-terrains. C'était là la première pièce du puzzle. Les autres pièces vont se mettre en place progressivement, mais c'est grâce à un numéro de téléphone inscrit sur un bout de papier retrouvé à l'intérieur de la Toyota que les choses vont s'accélérer. Le bout de papier fatal Le numéro griffonné sur le bout de papier va être fatal pour les membres du réseau. Son identification a montré qu'il s'agissait d'un portable Thuraya appartenant à un contrebandier notoirement connu dans la région de Tamanrasset. Ce dernier confirme que c'était bien le sien, mais qu'il l'avait acheté au profit d'un chauffeur guide saharien à la douane de In-Salah. Celui-ci nie les faits. Mais des investigations poussées ont montré que ce guide était impliqué jusqu'au cou avec les contrebandiers. Grâce à son portable Thuraya et surtout à sa fonction, il leur fournissait des informations précises sur d'éventuelles embuscades des services de sécurité dans l'extrême Sud algérien. Les deux personnes susmentionnées seront alors arrêtées. L'enquête connaîtra une autre avancée considérable grâce au témoignage d'un adolescent qui avait eu affaire à un membre de ce réseau. Ce jeune arrêté et condamné en février 2002 à 8 mois de prison, après s'être livré aux services de sécurité à Sebdou pour détention illégale d'arme, avait fourni à la gendarmerie des informations capitales sur un véhicule Toyota qui servait au transport de la drogue à partir de la frontière marocaine. Ses indications ont révélé qu'il s'agit, en fait, du même véhicule retrouvé par l'armée à Mécheria. À partir de là, tous les membres de ce réseau seront identifiés. Composé de dix personnes, ce réseau regroupe deux grandes familles, qui semblent contrôler tout le trafic de drogue dans cette zone frontalière, à savoir les Hernine et les Chenafa. En fait, l'adolescent, avant de se rendre aux services de sécurité, s'était réfugié chez les Chenafa et les Hernine dont les familles vivent dans des campements de nomades à El-Kasdir, le long de la frontière, près de Naâma. C'est lors de ce séjour que ce jeune a pu remarquer les incessantes allées et venues de cette Toyota. Ce véhicule effectue des rotations régulières, en moyenne une fois par mois, entre le lieu de campement de ces nomades et la frontière ouest, pour récupérer d'importantes quantités de drogue — généralement 600 kg — avant de les acheminer vers El-Bayadh et Saïda, puis les expédier vers le sud-est du pays. Les membres de ce réseau ont été dénoncés par un membre de la famille Hernine après son arrestation. Il a avoué que la quantité retrouvée à Mécheria dans la Toyota avait été livrée sur le tracé frontalier à dos de mulets par des Marocains. Des nomades devenus de gros trafiquants Cette enquête a montré que les membres de ce réseau sont pour la plupart des nomades algériens propriétaires de troupeaux de moutons en transhumance le long du tracé frontalier. Ils utilisent l'activité pastorale comme subterfuge pour se livrer à un trafic de drogue d'une ampleur qui n'a jamais été enregistrée depuis l'indépendance. Les investigations ont également prouvé l'implication directe de Marocains dans ce trafic. Les Chenafa, dont les oncles maternels sont de nationalité marocaine, mettent à profit ce lien de parenté pour régner en parrain sur ce trafic. La tâche est aisée d'autant plus que ces Marocains sont installés à Berguent, une localité du royaume chérifien qui fait face à celle de Laâricha, près de Tlemcen. Cette affaire a montré l'importance de la famille Chenafa dans la pyramide des trafiquants de drogue. L'enquête a prouvé que ses membres sont impliqués dans la plupart des grosses affaires de drogue mises au jour par les services de sécurité dans la région de Naâma, notamment celle de Mechrâa-Nouar où plus de 800 kg de kif ont été découverts à bord d'un camion appartenant à l'un des Chenafa qui a fui depuis au Maroc. Les transactions effectuées dans le cadre de la filière de la drogue ont permis aux Chenafa d'acquérir de nombreux biens immobiliers dans plusieurs wilayas de l'ouest du pays. Ils mènent un train de vie de nababs, dans des hôtels luxueux et des cabarets. Alors que la plupart des membres de ce réseau demeurent en fuite, deux parmi eux ont été arrêtés ces derniers jours. Ils sont venus avec de fausses identités à Mécheria afin de s'informer sur les charges qui pèsent contre eux. Ils ont également remis une forte somme d'argent à un avocat pour défendre l'un des leurs arrêté précédemment dans le cadre de cette enquête. A. C.