Longtemps considéré comme amoral et cynique, Machiavel conserve une réputation sulfureuse. Une relecture contextuelle de ses œuvres, dont le célèbre Le Prince, nous révèle qu'il a en réalité posé des principes très actuels du leadership efficace. Lorsqu'on évoque Machiavel, on cite souvent la formule "la fin justifie les moyens". Or, il s'agit d'une formule apocryphe. Elle ne figure dans aucun écrit de Machiavel. Elle a été forgée beaucoup plus tard pour synthétiser, à tort, la philosophie du pouvoir qu'il présente dans son ouvrage phare : Le Prince. Avec cette formule sont venus s'ajouter les termes machiavélique" et machiavélisme" jetant l'opprobre définitif sur l'auteur du Prince et le taxer de théoricien des tyrans et des dictateurs. En réalité, une lecture plus approfondie et plus contextualisée de ses œuvres (Machiavel a écrit Le Prince en 1513 au moment où l'Italie vivait une période de troubles d'extrême violence) nous révèle que l'auteur propose une compréhension particulièrement moderne du gouvernement des organisations et des hommes, loin des clichés qui l'ont longtemps marqué. Tant au plan de la philosophie politique que de celui du management, Machiavel connaît depuis ces dernières années une sorte de réhabilitation. On a mieux compris en effet que l'auteur du Prince, loin de tout idéalisme, a compris la complexité du monde et a proposé des principes d'efficacité pour la réussite de toute entreprise humaine. Certains le placent même comme l'un des premiers fondateurs des théories du leadership. Parmi ceux-là, Tim Phillips, journaliste indépendant qui collabore régulièrement pour des titres prestigieux comme le Wall Street Journal, The International Herald Tribune, le Times ou le Guardian, a écrit un ouvrage remarquable où il interprète avec les notions d'aujourd'hui les principes de leadership de Machiavel. Sorti en 2008 dans sa version originale en anglais sous le titre Niccolo Machiavelli's The Prince : A 52 brilliant ideas interpretation, il a été traduit en français en 2009 sous le titre Machiavel, leçons de réalisme pour devenir un fin stratège (1). Le livre est heureusement disponible pour les abonnés de la bibliothèque numérique Scholarvox de Cyberlibris et pour ceux de la plateforme Fimaktabati d'Algérie Télécom. Dans un style simple et imagé, Tim Phillips nous propose 52 leçons très concrètes de leadership tirées directement du Prince, interprétées pour répondre à l'environnement managérial du XXIe siècle. On y découvre que la démarche de Machiavel si elle est très pragmatique n'est pas démunie d'éthique car les qualités qu'il prête au leader sont empreintes d'une grande authenticité qu'il nomme virtù" dans son italien du XVIe siècle. Son pragmatisme apparaît par exemple dans la leçon n°2 Devenez réaliste" où il insiste sur le fait que la marque du leader, c'est sa capacité à prendre des décisions en fonction de sa perception de la réalité. Ce que reprend exactement Jack Welch, le mythique ancien patron de General Electric, avec sa formule : "Affrontez la réalité comme elle est, pas comme elle était ni comme vous souhaiteriez qu'elle soit." L'authenticité est illustrée notamment dans la leçon n°51 Dites ce que vous pensez" où l'auteur souligne les qualités de courage et le sens du leadership indispensables pour s'exprimer sans langue de bois et être capable de prendre les décisions mêmes les plus désagréables. Dante, l'autre grand Italien, ne disait-il pas que "les flammes de l'enfer brûleront plus fort encore pour ceux qui, en période de grande crise morale, ont cherché à garder une position neutre" ? Relire Le Prince, en le contextualisant, paraît ainsi indispensable. Sinon, la centaine de pages qui le composent, et qui se lisent en deux heures à peine, risquent d'être comprises comme un bréviaire pour managers-minute. Du reste, on peut en dire autant de la plupart des ouvrages de développement personnel qui ne doivent pas être considérés comme des recettes-miracle pour la pratique du management. Ni pris comme conseils lénifiants pour managers bisounours pour qui tout le monde il est beau, tout le monde est gentil". Notre capacité de discernement et notre force de caractère doivent demeurer nos guides ultimes dans la conduite de nos affaires et dans nos relations aux autres. Bien évidemment ce sont là des exigences fortes qui demandent une vigilance et des efforts de tous les instants pour ceux qui veulent prendre la maîtrise de leurs initiatives. Tim Phillips le résume très bien à la fin de son ouvrage en écrivant : "La plupart des livres de management prétendent qu'en étant gentil, en rendant les gens heureux ou en s'en tenant à un code moral strict on peut obtenir tout ce que l'on veut. Machiavel prétend exactement l'inverse. Il ne croyait pas ce qu'il lisait dans les livres. Il croyait ce que lui enseignait son observation du monde." 1- Machiavel, Leçons de réalisme pour devenir un fin stratège. Tim Phillips. Editeur : Maxima. 2009