La corruption qui implique les hautes sphères est aujourd'hui à la une de toutes les rédactions. Mais il existe une autre forme de corruption, plus insidieuse, qui est le fait de l'entreprise elle-même à travers ses collaborateurs. Et contre laquelle le management peut et doit agir. Dans les classements établis pour comparer les différents pays au regard de la corruption, on oublie de préciser que les évaluations utilisées se basent sur la perception de la corruption impliquant principalement le secteur public. Bien évidemment, dans la plupart des pays, notamment à travers l'attribution des marchés publics, les administrations sont parfois les protagonistes de formes de corruption de grande ampleur. Mais une autre forme de corruption, tout aussi dévastatrice, existe au sein même des entreprises. Cette forme de corruption est parfaitement connue au point qu'on peut en dresser une véritable taxonomie. Ce sont les pots-de-vin que l'entreprise paye pour obtenir des avantages/facilitations auprès d'une autorité particulière. C'est le fait d'accepter l'extorsion (racket) exercée par une autorité pour délivrer ses faveurs. C'est l'acceptation de cadeaux qui implique en retour des obligations spécieuses vis-à-vis de divers partenaires (fournisseurs, clients...). C'est la fraude de la part des employés de l'entreprise qui, de leur propre chef, peuvent être amenés à accepter de favoriser tel ou tel partenaire contre des avantages personnels, comme le versement de dessous de table. C'est la "fauche" ou l'utilisation à des fins personnels des moyens de l'entreprise par ses propres employés, etc. Le management ne peut pas rester insensible devant cette forme de corruption. D'autant plus que les risques d'y succomber sont de plus en plus fréquents. Les études montrent en effet que les vulnérabilités des entreprises face à ce phénomène s'accroissent d'année en année (1). Les différentes manifestations de cette corruption agissent comme des "tueurs silencieux" qui fragilisent l'entreprise et mettent en danger sa réputation et, à terme, sa pérennité. Les entreprises ont commencé à prendre conscience de ce danger et réagissent en mettant en place des politiques dites "éthiques" ou anti-corruption, assorties de procédures que leurs collaborateurs doivent respecter. Mais cet arsenal procédurier reste peu efficace sans l'implication forte des hauts responsables de l'entreprise. Une implication qui consiste à bâtir une solide culture, capable d'armer les collaborateurs de l'entreprise contre les pressions de la corruption. Et c'est là une mission-clé des dirigeants de l'entreprise. À cet égard, on parle désormais de "leadership éthique". C'est précisément le titre d'un livre remarquable paru en 2013 où Andrew Leigh, auteur célèbre d'ouvrages de management et consultant en gestion du changement, démontre de façon irréfutable qu'investir dans une culture éthique est loin d'être un luxe. C'est au contraire un investissement qui non seulement constitue le meilleur pare-feu contre la corruption et la fraude, mais se révèle extrêmement rentable pour l'entreprise (2). A. Leigh y expose de façon détaillée les différentes dimensions pour bâtir une culture éthique et le rôle particulier du management pour déployer ce type d'initiative. Pour les heureux abonnés, l'ouvrage est disponible sur la bibliothèque numérique Scholarvox de Cyberlibris et à ceux de la plateforme Fimaktabati offerte par Algérie Télécom. Pour illustrer la mise en œuvre d'un leadership éthique, voici ce que déclare à ce propos le PDG d'une grande entreprise indienne du secteur IT : "Nous disons à nos collaborateurs de rester fermes et de persister, de ne jamais prendre des raccourcis. Le message est clair : nous serons à vos côtés. Nous ne vous en voudrons pas si vos projets prennent du retard ou si nous perdons de l'argent ; nous ferons que ce qui est correct et non ce qui est commode. Avec le temps, les gens comprendront ce qui acceptable et ce qu'il ne l'est pas. Car la mémoire de l'entreprise est plus forte qu'une masse de procédures." Pour l'avoir accompagné, le rédacteur de ces lignes a pu observer le patron d'une grande entreprise privée algérienne qui tient exactement le même langage à ses managers. Bien entendu, cette attitude basée sur le principe de la tolérance zéro face à la corruption a causé de nombreux freins et retards pour ses projets. Mais, au fil du temps, la culture de l'entreprise n'a cessé de se raffermir et de renforcer son image et sa notoriété auprès de la communauté des affaires. Ce qui est un avantage précieux quand on veut asseoir sa compétitivité à l'international. Car, comme le rappelle à ce propos Warren Buffet, le célèbre CEO du fonds d'investissement Berkshire Hathaway, "il faut 20 ans pour bâtir une réputation et cinq minutes pour la perdre !". 1 - http://www.kroll.com/en-us/intelligence-center/reports/global-fraud-report. 2 - Ethical leadership: Creating and Sustaining Business Culture. Kogan Page. 2013.