Cet ouvrage recense de nombreux articles de critique littéraire parus au fil des années d'exercice de la profession de chercheur universitaire de l'auteur, qui témoigne d'un engagement sans faille au service du corpus auquel il s'est consacré, engagement qui a fait de lui un spécialiste renommé en la matière. Il s'agit bien d'une autobiographie intellectuelle assumée par un "Je" conducteur des diverses étapes de sa réflexion, et qui en expose les limites et les progrès. Les questions liminaires posées en introduction permettent de définir un trajet et l'élaboration d'une méthode : qu'en est-il des anciennes classifications opposant l'espace rural et la cité dans la dynamique de production des textes romanesques algériens ? Quelle est la place du récit de guerre ? Quelles furent et demeurent les attentes du public, algérien et français ? Peut-on lire les auteurs privilégiés par Charles Bonn, Mohamed Dib et Kateb Yacine, occupant un rôle central, à la lumière des modèles heuristiques fournis par l'analyse du surgissement de la tragédie grecque ? Le sacrifice tragique des héros, des mères, de la langue, sacrifice irradiant les textes, témoignent-il d'une nouvelle littérarité fondée sur une dynamique de la perte ? À toutes ces interrogations, Charles Bonn tente de répondre dans cet ouvrage exigeant et qui fait la part belle à la recherche du plaisir de lecture. Ces "Lectures nouvelles" s'attachent tout d'abord à la production de l'Histoire dans les premiers romans algériens, et soulignent l'urgence de nuancer certains aspects de la théorie post-coloniale. Comment dire la Nation ? L'échec de la littérature officielle encouragée par le régime algérien après l'indépendance va de pair avec un éclatement des codes linguistiques, une errance générique, une explosion syntaxique dans Nedjma par exemple, livre initiateur et initiatique à plus d'un titre, tandis que les années 1980 enregistrent le retour du référent et la perte de littérarité alors que montent les périls assassins. L'étude des espaces narratifs et des localisations identitaires problématiques fait l'objet de la deuxième partie ; l'énonciation de l'identité vacille, le personnage de l'émigré, d'abord traité par des romanciers "reconnus", se confond ensuite avec narrateur et auteur dans une production sans ambition littéraire, mais d'où émergent quelques textes d'écrivaines, nouvelles venues parfois vite disparues. Les deux dernières parties proposent des analyses fouillées de la production littéraire de Dib et Kateb. Les lectures ainsi offertes aux chercheurs mobilisent les outils méthodologiques rassemblés sous l'intitulé "roman familial", et permettent l'ouverture sur les changements intervenus dans cette dernière époque qui est aussi la nôtre, celle d'une postmodernité chargée de menaces mais avide de stabilité et de reconnaissance des identités multiples dont le roman, algérien ou non, a peut-être pour fonction de récuser l'essentialisme. L'ouvrage est pourvu d'une abondante bibliographie, d'un index des noms propres et d'un index des thèmes et concepts. J. F. F.
Lectures nouvelles du roman algérien. Essai d'autobiographie intellectuelle de Charles Bonn, Editions Classiques Garnier, Paris, 2016.