Plutôt que d'inviter les jeunes à débattre de leurs préoccupations et des vraies raisons qui ont poussé certains d'entre eux à investir la rue, les pouvoirs publics préfèrent encore se réunir avec des personnes complètement en décalage avec la société et loin de la réalité pour décrypter la situation. Les récents événements de Béjaïa l'attestent à plus d'un titre. Après les récentes émeutes qui ont secoué la région de Béjaïa, les autorités locales ont cru bon d'inviter leurs fidèles et vieilles "notabilités" à discuter des préoccupations d'une jeunesse pour le moins "stigmatisée". Le conseil fédéral du Front des forces socialistes (FFS) de Béjaïa, élargi aux P/APC, était le premier à dénoncer cet état de fait, lors d'une réunion tenue samedi dernier. "Le recours de l'administration aux ‘sages' et autres ‘notables', sélectionnés sur une base totalement arbitraire et des critères connus du seul pouvoir, et l'exclusion des élus, à l'occasion de réunions organisées lors de ces événements, ne sont-ils pas une énième tentative de substituer à la représentation élue des populations une représentation factice, archaïque et parfois même mafieuse ?", est-il noté dans le communiqué qui a sanctionné la rencontre. Et pourtant, pendant plusieurs jours, ils étaient essentiellement des jeunes à descendre dans la rue pour exprimer avec rage un ras-le-bol, un mal vivre et une situation de désespoir que les autorités ne semblent pas encore en mesure de comprendre. La preuve, plusieurs associations et acteurs locaux de la société civile, contactés par nos soins, affirment n'avoir, à aucun moment, été invités par les autorités compétentes à discuter de la situation et chercher ensemble à trouver des solutions. C'est le cas du responsable du bureau de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'Homme à Béjaïa, Hocine Boumedjane, qui ne comprend pas "comment les pouvoirs publics font appel à des personnes qui n'ont aucune assise dans la société, alors que les premiers concernés sont la jeunesse". Pendant les événements, le bureau de la Laddh de Béjaïa a eu à organiser, de sa propre initiative, deux réunions avec une vingtaine d'associations citoyennes de la région pour coordonner leurs actions et appeler au calme. La même initiative a été reprise à Akbou, Sidi Aïch et El-Kseur. Quant aux "vieilles notabilités" de la région auxquelles les autorités trouvent une si grande "sagesse" et une non moins grande "utilité" pour les inviter à discuter de l'avenir de la jeunesse, ce sont généralement des personnes à la retraite et qui vivent en marge de la société active. Il est vrai que ces personnes se distinguent surtout par leur proximité avec les relais locaux du pouvoir. Hocine Boumedjane ne voit d'ailleurs pas "comment ces personnes peuvent-elles se faire entendre parmi la société civile ?" Son collègue, Saïd Salhi, vice-président de la Laddh et citoyen de Béjaïa, relève sur un ton ironique que "le seul contact qui a été établi avec les jeunes était d'ordre policier". Il regrette le fait que "la jeunesse ait toujours été stigmatisée" de la sorte. De son côté, Boualem Bacha, président de l'Association culturelle la Soummam, dans la daïra d'Akbou, et néanmoins membre et ex-président de l'association estudiantine AAI (Amazday Adlsan Inalmadhen) de l'université Abderrahmane-Mira de Béjaïa, estime que "les autorités préfèrent se réunir avec leurs amis les sages pour éviter le vrai débat et les préoccupations véritables de la jeunesse". Il regrette le fait que la société civile et la jeunesse en particulier soient exclues et que les autorités "n'arrivent toujours pas à communiquer" avec les segments représentatifs de la société et à se rapprocher d'eux. Une situation, conclut-il, qui engendre souvent de la violence. Mehdi Mehenni