Le réalisateur Mohamed Zaoui (également journaliste et homme de théâtre) est le seul algérien à concourir dans ce festival (version numérique) dédié aux courts métrages d'une durée de 140 secondes. Dès la mise en ligne sur le Net, le film "Je suis condition humaine" est au Top 20 des favoris en course pour le grand prix. Dans cet entretien, Mohamed Zaoui revient sur son œuvre et sur son travail. Liberté : Vous participez avec votre dernier court métrage "Je suis condition humaine", au 7e Nikon film festival. En quoi consiste cet évènement ? Mohamed Zaoui : Le Nikon film est un festival de courts métrages d'une durée de 140 secondes. Pour cette 7e édition inscrite sous la thématique "Je suis une rencontre", pas moins de 1 272 films sont en course pour le grand prix. Quant au jury présidé par le réalisateur Cédric Klapisch, il est composé de professionnels du cinéma et de la presse... Pour ma part, je participe avec mon œuvre Je suis condition humaine. Je trouve que le court métrage est la catégorie la plus difficile à réaliser dans le cinéma. C'est difficile de raconter une histoire sur la vie d'un homme dans un film de 2 mn 20 sec. "Je suis condition humaine" est une œuvre bouleversante qui dépeint un homme plutôt solitaire qui erre place de la Défense à Paris. Comment s'est faite cette rencontre avec le protagoniste de votre film ? Il y a quelques mois, j'ai fait une rencontre peu ordinaire, et plutôt insolite qui, pour une autre personne, peut paraître tout à fait "normale". En fait, un dimanche, je suis sorti me balader sur l'esplanade de la Défense (Paris), pour prendre des photos avec mon appareil "reflex". J'ai dû m'arrêter un moment, et là, j'entends une musique et un chant triste. À côté de moi, il y avait cet homme énigmatique, posé là, au hasard de ses rêveries, qui devient le maître du lieu, d'un espace central pour l'œil, mais personne ne le remarque ! Il est enfermé dans sa bulle hermétique, hors temps, hors champ. Ce personnage était complètement capté et captivé par la musique de Farid El-Atrache qu'il écoutait ! J'ai été très touché par cette musique, et j'ai réagi instinctivement en sortant mon appareil photo pour le filmer, et ce, sans lui demander l'autorisation. En réalité, je ne sais pas, ce qui m'a fasciné chez cette personne pour la filmer. Ce personnage semblait tourmenté, et j'ai remarqué les "traces" de l'exil sur son visage... J'ai essayé dans ce silence de comprendre sa tourmente. Dans son coin, il avait l'air d'attendre une personne qui n'est jamais arrivée. Cette scène m'a rappelé la pièce de théâtre En attendant Godot de Samuel Becket. Je n'ai pas cessé de le filmer, et il s'est mis à faire de la mise en scène avec une grande spontanéité. Inconsciemment, ça m'a rappelé l'ambiance familiale ; quand, enfants nous écoutions de la musique orientale diffusée sur la radio algérienne. À l'époque à la fin des années 1960, nous n'avions pas d'électricité ni la TV ; nous n'avions que la radio. Et cette musique m'a rappelé de beaux souvenirs chez Sadek le coiffeur, l'endroit le plus convivial du village.
Dans son regard il y a beaucoup d'amertume et de tendresse. L'image suffit pour véhiculer les émotions de cet homme qui semble perdu dans ce pays. Vous avez quitté l'Algérie pour la France. Est-ce que vous vouliez d'une certaine manière raconter l'exil ? Effectivement, cet homme que j'ai filmé m'a renvoyé à ma situation d'exilé. Il y a cet exil "silencieux" qui s'exprime fortement chez le protagoniste de mon film. Si cette rencontre est le fruit du hasard, je pense que je l'ai cherchée en quelque sorte ! Je me retrouve dans cet homme à travers ses angoisses et son errance. Il y a quelques années, j'avais écrit une pièce de théâtre intitulée le Tiers restant, et le personnage de cette pièce ressemble énormément à celui de Je suis condition humaine.
Sur les 1 272 œuvres en compétition, en peu de temps vous avez franchi le cap du Top 20. Comment expliquez-vous cet engouement pour votre film ? Sur les 1 272 participants, mon film fait partie du Top 20 dans la section "Prix du public", et c'est une belle performance. À mon avis, les premiers votants pour le film sont des Algériens. Depuis la mise en ligne (le 12 octobre dernier, ndlr) de Je suis condition humaine sur le Net, je reçois des centaines de messages de soutien et d'encouragement, car, c'est un film d'un réalisateur algérien. À mon avis, les gens ont été très touchés par le fond humain de mon œuvre. À l'exemple de mon ami Zahreddine Smati (président du conseil d'administration du quotidien El-Khabar, ndlr), qui a indiqué à propos de mon court métrage : "Ce n'est pas facile de raconter tant de choses aussi complexes sur la nature humaine dans un temps très court. Parfois, il suffit seulement d'une séquence pour dévoiler l'énigme d'une personne et le plus profond de l'être humain." Quant à Abdelkrim Sekkar (producteur, réalisateur et animateur, ndlr), il m'a confié que "le film s'arrête dans une petite station du silence, celle où le silence nous parle et nous invite à un imaginaire éphémère dans un monde en pleine déstructuration, où les murs de Berlin poussent partout ailleurs avec un ciment glacial qui interpelle la nouvelle génération pour baisser les barrières et prendre le temps d'écouter l'autre. Nous sommes tous des rencontres à faire à chaque instant !". Pour certains, c'est une très belle expérience d'agir sur ce film avec un acteur non professionnel. Pour d'autres, ce film parle de la condition humaine à travers l'immigration, la nostalgie, le déracinement et la renaissance dans un autre environnement. Et il est filmé avec une simplicité qui parle à nos sens et à notre nerf optique. Le silence parle et ne triche pas...
Vous, vous décrivez comme un "réalisateur de l'imprévu". Pouvez-vous, nous éclairer sur ces propos ? Je me balade souvent avec mon reflex ou ma petite caméra pour capter des moments particuliers dans la vie. À l'exemple d'avoir filmé l'écrivain Tahar Ouettar, et ce, deux mois avant son décès, ou encore d'avoir eu la chance de filmer le retour de Mostefa Boudina, cet ancien condamné à mort durant la guerre d'Algérie, et dernièrement l'homme de l'esplanade de la Défense. Je me considère comme un cinéaste de l'imprévu, car que je n'ai jamais prévu la réalisation et le tournage de ces films. Mon expérience de plusieurs années dans la presse écrite, la radio, la télévision et le théâtre m'a appris à sélectionner et à regarder les choses intéressantes dans la vie... Et il y a plein de choses que je ne vois pas certainement.
Vous réalisez vos films avec vos propres moyens (sans aide financière, ni humaine). Est-ce dans l'objectif de garder une certaine liberté dans vos créations ? Je travaille très léger : caméra et ordinateur, ce qui me donne une liberté dans mon travail. Travailler en équipe, c'est une expérience que je n'ai jamais vécue. Ecrire des synopsis et des scénarios, c'est aussi une manière de travailler que je ne connais pas. Cela ne veut pas dire que c'est une bonne chose. Mais, c'est ma façon de travailler. J'ai pris l'habitude de travailler en solitaire ; filmer et monter en solitaire. Je pense que les nouvelles technologies nous permettent aujourd'hui de faire des économies sur le budget de réalisations d'un film. Concernant le soutien financier, sincèrement, j'en aurai besoin pour mes prochains projets. Il faut aussi vivre et couvrir les besoins de la famille... et évoluer en termes de certaines opérations qu'il faut effectuer, à l'exemple du mixage, l'étalonnage et le montage en général. Pour le moment, je réalise toutes ces opérations moi-même. Mais je me rends compte que c'est difficile de résister de telle façon ! Je souhaiterais que le ministère de la Culture trouve les moyens pour aider les cinéastes algériens qui vivent à l'étranger. À cette occasion, je lance un appel aux Algériens pour voter pour mon film. Entretien réalisé par : Hana Menasria Pour soutenir le film "Je suis condition humaine", voir le lien : http://www.festivalnikon.fr/video/2016/1305