Monsieur le secrétaire général, bienvenue en Algérie, pays de 32 millions de sujets, sans compter les sujets de mécontentement. Le droit du peuple algérien à disposer de lui-même pour lequel il a combattu avec acharnement sept ans et demi durant est devenu le droit de l'Etat à disposer de son peuple. Le problème fondamental consiste à rétablir la souveraineté du peuple algérien, en lui permettant de choisir par des élections libres ses représentants au niveau de toutes les institutions élues de l'Etat, et à doter l'Algérien du statut de citoyen à part entière. La fraude électorale, bien intégrée dans les mœurs politiques du pays, est au rendez-vous de toutes les élections. Le plus grave n'est pas d'avoir des sujets, mais de les appeler citoyens. Un peuple de sujets est prêt à devenir un peuple de citoyens : le pouvoir au peuple, le peuple au pouvoir. Le peuple algérien ne vivra dans la dignité que quand il aura conquis ses droits humains. L'Algérie est devenue, comme durant la guerre de Libération nationale, le lieu privilégié d'une tragédie humaine d'une grande ampleur, qui a engendré des crimes contre l'humanité. Les deux faits marquants de la fin du deuxième millénaire sont l'indivisibilité et surtout l'universalité des droits de l'Homme qui est la condition sine qua non du dépassement des particularismes nationaux et de la spécificité culturelle et historique que le pouvoir politique évoque pour justifier son refus de toute ingérence. On ne peut à la fois souscrire aux principes des Nations unies, et même ratifier des conventions et pactes internationaux, et invoquer ensuite la non-ingérence quand il y a manquement à ces principes en Algérie. L'échec de la communauté internationale à obtenir de l'Algérie de se conformer à ses obligations en matière de droit international est total. L'Etat algérien a refusé tout accès à l'Algérie aux rapporteurs spéciaux de l'ONU chargés d'enquêter sur la torture et sur les exécutions extrajudiciaires. Il a ratifié de nombreux pactes et conventions internationaux qui ont une autorité supérieure à la loi, pour faire bonne figure démocratique, sans la volonté de leur attacher beaucoup d'importance quant à leur application du fait que la pratique les méconnaît ou les bafoue. Bien plus, les dispositions imposées par ces traités n'ont pas été régulièrement intégrées à l'ordre juridique interne. La LADDH se demande s'il est permis de croire au progrès par le droit international, que les Etats ne respectent pas ou larguent au gré des circonstances. Lors des massacres collectifs, des enlèvements suivis de disparitions, de tortures, des assassinats et des exécutions extrajudiciaires, des arrestations arbitraires dont a souffert le peuple algérien durant la décennie écoulée, vous avez demandé, Monsieur, à la communauté internationale : “Garder les yeux rivés sur les horreurs qui se commettent en Algérie.” Le terrorisme est odieux, mais les moyens de riposte n'impliquent aucun renoncement aux règles d'un Etat de droit. Il ne faut pas confondre la résistance légitime contre l'occupation étrangère avec le terrorisme. Que sont devenus les disparus ? Des morts sans sépulture, des vivants sans existence ? Leurs familles qui se battent depuis des années pour savoir la vérité sur le sort qui leur est réservé n'ont obtenu pour réponse que le silence d'abord, puis des déclarations ambiguës, et enfin des mensonges officiels. L'impunité est de règle en Algérie. Est-il concevable qu'après des milliers de disparus qui relèvent de la responsabilité de l'Etat, personne ne soit traduit en justice ? Il faut envisager des poursuites judiciaires dans le cadre de la compétence universelle qui permet au juge de connaître des crimes contre l'humanité qui sont imprescriptibles, sans considération ni du lieu de l'infraction ni de la nationalité de l'auteur ou de la victime. Il y a dérive autoritaire du pouvoir politique sur la question des droits de l'Homme, depuis l'état d'urgence du 9 février 1992, chaque jour apporte une sinistre moisson d'outrages à la dignité humaine. Le contrôle de la population se fait par la police politique, les services de sécurité, les appareils idéologiques de l'Etat, notamment sa presse, la télévision unique, la radio unique. Toute personne qui s'exprime à contre-courant de la ligne politique définie par le pouvoir est mise en accusation et diabolisée. Le harcèlement judiciaire concerne en premier lieu les militants des droits de l'Homme et des partis politiques, les journalistes, les syndicalistes. Les tribunaux et cours de justice ne sont pas des lieux où la justice est rendue, mais des instances politiques où le pouvoir juge ses adversaires. La LADDH s'est élevée avec rigueur et vigueur contre les conditions scandaleuses des procès politiques qui aboutissent à une parodie de justice. Il y a violation de la loi, atteinte à l'autonomie de la justice et à l'indépendance des magistrats. Quand la prison devient un honneur, c'est que l'Etat se pervertit. Il n'y a pas de libertés sans justice, ni de justice sans liberté qui est indivisible, et là où elle fait défaut surgit la tyrannie. La liberté d'expression est un droit élémentaire de la vie sociale et culturelle, de la création scientifique et artistique. C'est d'elle que découlent les autres libertés. C'est l'oppression qui a enfanté la liberté, et la répression qui a enfanté les droits de l'Homme. Il y a dans la société trop d'inégalités et d'injustices sociales. La distribution des revenus et des richesses est si inégale qu'elle viole les normes minimales de justice. Trop riche pour une petite minorité, trop pauvre pour la grande majorité, l'Algérie est l'exemple d'une profonde injustice sociale. Les droits de l'Homme se conjuguent avec la démocratie qui est création et contrôle du pouvoir, le régime politique de l'autorité librement consentie et non imposée, qui se réalise par l'alternance, les contre-pouvoirs et la régulation par le droit et l'Etat de droit. Le pouvoir politique ne veut pas entrer dans la démocratie, mais cherche à s'en donner l'apparence. La définition juridique de la femme mariée est celle de l'éternelle mineure. La femme peut exercer une haute fonction dans tous les domaines d'activité, mais pour se marier il lui faut l'autorisation d'un tuteur. La polygamie et la répudiation sont maintenues dans la révision du code de la famille. Monsieur le secrétaire général des Nations unies, le ministre de l'Intérieur a interdit à la LADDH d'organiser toute réunion ou manifestation publique sans le lui signifier par écrit. Cette opération de déstabilisation de la ligue, c'est un sérieux danger pour les libertés. Ne pas laisser le silence se refermer sur les violations des droits de l'Homme, crier la vérité est la mission de la LADDH. Contre les abus dont elle a été victime depuis sa création il y a 20 ans, les arrestations, les procès, les condamnations, les menaces, les intimidations de ses militants, elle n'a cessé de se battre. L'attitude du pouvoir reste rigide, décevante, négative. La ligne de démarcation est celle qui sépare les associations sécrétées par le pouvoir ou encouragées par lui et les associations indépendantes. Les premières sont réduites à des appareils, vivent en vase clos, et se contentent de servir de courroies de transmission au pouvoir. Elles vivent de subventions que le gouvernement leur accorde. Toute velléité d'indépendance d'une association est réprimée. Faire barrage à toute tentative visant à la réduire au silence est le combat de la LADDH, qui garde un rôle d'alerte et de critique. En votre qualité de premier défenseur international des droits de l'Homme, nous vous demandons de faire pression sur le gouvernement algérien afin qu'il respecte la déclaration universelle des défenseurs des droits de l'Homme. Droits de l'Homme et paix sont les deux aspects indissociables de la vie humaine. Toute tentative de sauver l'un aux dépens de l'autre, assurer la paix aux dépens de la justice conduit à l'échec des deux. Monsieur le secrétaire général des Nations unies, les droits de l'Homme n'ont pas seulement à être proclamés ou garantis, il faut les vivre. L'exil pour ceux qui sont contraints de fuir leur pays pour sauvegarder leur liberté et souvent leur vie est une nécessité. L'asile politique relève de la protection des droits de l'Homme. Le moment est venu de vider la prison de Guantanamo de tous les détenus. Le droit à l'humanité consiste à traiter toute personne humaine dans le respect de sa dignité. Le renvoi en Algérie des prisonniers algériens détenus à Guantanamo serait un acte de justice. Veuillez agréer, Monsieur le secrétaire général des Nations unies, l'expression de notre haute considération. Alger, le 19 mars 2005 Maître Ali Yahia Abdenour Président de la LADDH