Smaïl Lalmas, spécialiste des questions de commerce extérieur, et, par ailleurs, président de l'Association nationale Algérie conseil export (ACE), estime, dans cet entretien, que l'instauration des licences d'importation est loin d'apporter une réponse sérieuse aux problèmes que connaît le commerce extérieur dans le pays. Liberté : Le suspense reste entier quant aux licences d'importation, notamment celle concernant l'automobile. Pouvez-vous nous dire ce qui se passe aujourd'hui dans le secteur automobile, sous l'angle de l'importation ? Smaïl Lalmas : 2016, première année de mise en application du système des licences d'importation, aura été marquée par des difficultés liées au retard pris dans l'élaboration de ces documents et du cahier des charges se rapportant à l'importation de véhicules. Le cahier des charges aura été établi sur mesure pour certaines marques, pénalisant au passage les petits, les obligeant à s'adapter ou à disparaître. Par ailleurs, il faut savoir que l'action de lobbying, notamment dans le monde de l'automobile, puisque c'est de cela qu'il s'agit, est bien une réalité dans notre pays. Un lobbying avec une double influence interne et externe. Interne via les importateurs locaux de véhicules, très souvent proches des cercles du pouvoir, qui imposent leurs lois, et externe, via l'influence exercée par les patrons des grandes marques étrangères, qui, parfois, outre leurs relais internes, actionnent même la diplomatie de leurs pays pour obtenir facilités et autres avantages. Les effets de cette pression ou de ce lobbying se font sentir dans l'attribution des licences avec les quotas réservés à chaque acteur, au point que le gouvernement a dû reculer concernant les critères d'obtention de ces licences, notamment sur le critère fiscal, afin de ne pas pénaliser les marques françaises, accusées par un ancien membre du gouvernement algérien, de surfacturation et d'optimisation fiscale, à travers des techniques douteuses, pour arriver à des bilans négatifs à la fin de l'exercice malgré des ventes très importantes. D'autres paramètres doivent être pris en considération dans le traitement de ce dossier (l'importation de véhicules), à savoir les intérêts des influents du moment et dans un autre registre, la mauvaise communication autour de ce dispositif qui n'arrange pas les choses. Vous pouvez en déduire que le sujet est très complexe, créant des tensions au niveau des départements concernés, lesquelles se répercutent sur le bon déroulement des opérations d'importation avec des lenteurs et des reports, impactant négativement le marché de l'automobile et causant des pertes considérables en termes d'emplois directs et indirects en relation avec cette activité. 225 licences d'importation de véhicules, de ciment et de rond à béton ont été délivrées pour l'année 2016. Outre ces produits, les agrumes seront désormais soumis à autorisation d'importation. Le dispositif sera certainement élargi à d'autres produits... Pour rappel, le gouvernement a instauré le dispositif de licences, limitant ainsi l'importation de trois produits, à savoir les véhicules, le rond à béton et le ciment. À titre indicatif, en 2015, et rien que pour les véhicules, la facture d'importation a dépassé les trois milliards de dollars (plus de 250 000 unités). Ce dispositif a permis d'enregistrer des réductions allant de 30 à 50% pour les trois produits. Evidemment, il est loin d'apporter une réponse sérieuse aux déficits enregistrés depuis au moins deux ans. À mon avis, d'autres produits subiront des restrictions à l'importation, ce sera d'ailleurs la gymnastique préférée du gouvernement. L'Exécutif semble se réveiller après un long sommeil, causant, au passage, une véritable saignée de nos ressources en devises, sans parler des conséquences désastreuses sur l'économie nationale. À signaler que la facture d'importation de banane estimée à 150 millions de dollars est beaucoup plus importante que celle des agrumes. Est-ce que la banane achetée en devises (l'argent du peuple) sera interdite à l'importation ? Sachant que les importateurs nous la revendent à 600 DA, alors qu'à la source, elle ne dépasse pas à l'achat les 80 DA (je dis bien 80 DA). Des engagements et des pistes ont été adoptés par le gouvernement pour réduire la facture des importations qui a dépassé les 45 milliards de dollars en 2016, notamment le contrôle des surfacturations connues de tous, un phénomène qui a mis et qui continue à mettre mal à l'aise le gouvernement, démontrant son impuissance et son incapacité à le contrôler ou... le stopper. Comment voyez-vous évoluer le commerce extérieur, une année après l'instauration des licences d'importation ? Il faut savoir qu'en parlant de commerce extérieur vous évoquez les différents axes de cette activité, notamment l'importation, l'exportation et les IDE (investissements étrangers), des activités exclusives, mais qui sont collectivement exhaustives. L'absence de débat et de consensus autour des décisions prises par l'Exécutif dans la gestion du commerce extérieur nous renvoie à l'époque du socialisme, où l'Etat contrôlait, gérait et décidait de tout, sans partage ni concertation, s'éloignant ainsi de sa fonction fondamentale qui est la régulation. Le commerce extérieur contribue largement au développement d'une économie, mais sur la base d'un appareil de production structuré auquel il est étroitement lié. Si je reviens à la régulation des importations, à travers des licences, ce dispositif a montré ses limites ; parfois, il va même aggraver la situation, et ce, en l'absence d'une stratégie consensuelle. Je prends le cas de l'industrie de montage des véhicules, décidée par le gouvernement pour faire face à la demande du marché, censée, bien sûr, réduire la facture d'importation. Or, cette approche va nous coûter très cher, sachant qu'il s'agit d'une industrie basée sur l'importation de composants, dont la facture est estimée par certains professionnels à plus de cinq milliards de dollars encouragée par le taux d'intégration trop faible ou insignifiant. Pour information, plusieurs marques sont annoncées pour cette année, la facture risque d'être très salée. Cela dit, si l'essentiel de la production est destiné à l'exportation et dont les recettes en devises serviront, entre autres, à financer l'importation des intrants qui entrent dans le montage des véhicules, dans ce cas-là, cette industrie de montage deviendrait intéressante mais sans influence aucune, sur le projet d'industrialisation du pays. L'absence de stratégie est aussi bien évidente en évoquant tous ces projets de construction d'usines de ciment dont l'entrée en production serait pour 2018 et 2019, et où des quantités importantes sont prévues, mais qui, malheureusement, arrivent très en retard, à la fin des mégaprojets de construction de logements, et autres, qui ont nécessité des dizaines de milliards de dollars d'importation de ciment sur les 10 ou 15 dernières années. À mon avis, le recours aux licences ne va pas pouvoir réduire les déficits et réguler les importations. Il faut aller en profondeur dans la réorganisation du commerce extérieur et penser à des actions qui s'inscrivent dans la durée. Entretien réalisé par : Youcef Salami