"Je ne l'ai pas tué. Ce sont eux qui l'ont fait. Je l'ai seulement blessé au bras droit parce qu'il me menaçait avec un ouvre-enveloppe." Ce sont par ces paroles que Chouaïb Oultache a entamé, hier, ses déclarations devant le tribunal criminel. Accusé d'assassinat et de port d'arme sans autorisation, l'ex-chef de l'Unité aérienne et président de la commission technique chargée d'évaluer les besoins de la Sûreté nationale en équipements modernes s'est présenté devant le juge, affaibli, soutenu par un policier. Il a demandé une chaise et une bouteille d'eau. Puis, d'emblée, il a affirmé n'avoir jamais tiré en direction de la tête de l'ancien DGSN, Ali Tounsi, assassiné dans son bureau le 25 février 2010. Le président de l'audience lui rappelle qu'il avait reconnu devant le juge d'instruction être l'auteur du crime. Oultache réplique : "Je ne l'ai pas dit. C'est le juge qui l'a écrit. Je reconnais avoir tiré en direction du bras droit et du thorax. Mais je n'ai jamais visé la tête." Oultache met en cause l'ex-ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales, Noureddine-Yazid Zerhouni. "C'est le juge d'instruction et Zaghmati, ex-procureur général, qui ont échaudé ce scénario. Zaghmati est l'ami de Zerhouni", accuse-t-il. Le magistrat Benkharchi réplique : "Je jure que Zaghmati ne connaît pas Zerhouni." Benkharchi exhibe alors les rapports de l'autopsie, de l'enquête balistique et l'expertise psychiatrique qui affirment que la victime a reçu des projectiles mortels à la tête, avec, à l'appui, plusieurs photos de la scène de crime. Les images sont insoutenables. Selon le magistrat, Ali Tounsi était assis quand il a été atteint de deux balles : l'une dans la joue qui lui a troué la langue et l'autre du côté droit de la tête. "Quatre autres balles sont restées coincées dans l'arme", précise le juge. Oultache répond : "C'est la police qui a fait ces rapports, et donc l'Etat. Pourquoi n'avoir pas confié cette enquête à une commission mixte constituée de policiers et de gendarmes ?" L'accusé persiste et signe : "J'ai tiré une première balle, mais Tounsi a continué à avancer. C'est après la troisième qu'il s'est écroulé du côté droit de son bureau. Il n'était pas assis quand je lui ai tiré dessus." La défense : "Les balles ne correspondent pas à son arme." C'est à ce moment que sa défense réclame au tribunal criminel la présentation des preuves. Au bout de quelques minutes, le procureur de la République présente à l'assistance la première pièce à conviction. Il se tourne vers Oultache et l'interpelle sur un ton ironique : "C'est avec cet ouvre-enveloppe que la victime vous a menacé au point de vous faire paniquer alors que vous étiez armé ?" Le représentant du parquet montre, en outre, quatre balles non utilisées qui, selon lui, se trouvaient dans l'arme d'Oultache. "Ce sont des balles de 8 millimètres et, de ce fait, ne correspondent pas à l'arme de l'accusé qui est de calibre 9 millimètres", récuse la défense. Et à Oultache d'enchaîner : "Je dis aux filles de Tounsi, à sa femme, à son fils et à ses frères que je ne l'ai pas tué. Mais seulement blessé. Quand je suis sorti du bureau, il était encore vivant. Il gémissait de douleur. Si je voulais le liquider, je l'aurais fait chez lui, pas dans un bureau aussi sécurisé." L'accusé a, tout au long de son interrogatoire, tenté de convaincre que "d'autres parties" ont achevé le DGSN. "Après avoir blessé le DGSN, j'ai demandé à son secrétaire particulier, en son nom, de faire appeler le directeur de l'administration de la Sûreté nationale, Youcef Daimi, le directeur des moyens techniques, Boumédienne Ouazzar, et le chef de la Sûreté d'Alger, parce que je savais que ce dernier était un peureux. J'escomptais qu'en me voyant armé, il allait me tirer dessus. Je voulais en finir sachant que ce qui m'attendait était le pire. La garde rapprochée de Tounsi m'a ciblé de trois rafales. J'ai été atteint de cinq balles. Je me suis retranché à nouveau dans le bureau du DGSN. J'ai eu un malaise. Je me suis effondré sur la chaise, du côté droit du bureau. J'ai entendu à ce moment-là une voix ordonner : ‘Achevez-les tous les deux !'" Selon les trois responsables cités, ils sont arrivés sur les lieux en avançant en file indienne. Le secrétaire particulier d'Ali Tounsi précède les deux autres de quelques pas. Quand ce dernier franchit le seuil du bureau, il découvre le corps de la victime gisant parterre. Son regard rencontre celui d'Oultache qui pointe son arme vers lui avant de s'en prendre au chef de la Sûreté d'Alger qu'il blesse au front. C'est, du moins, ce que déclarent les concernés. Les témoins enfoncent l'accusé Oultache est revenu aussi sur l'entrevue qu'il a eue avec le DGSN quelques minutes avant la mort de celui-ci. "Le ton était sec. Il a refusé de reporter la réunion programmée ce jour-là sur le service que je dirigeais. Il m'a traité de traître. Alors, à mon tour, je lui ai dit qu'il a été moudjahid dans une prison cinq étoiles de Sidi Bel-Abbès et que les soldats français lui ramenaient des sandwiches au jambon". Le juge enchaîne, ensuite, sur l'accusation de port d'arme sans autorisation, une arme de marque Wilson Smith qu'Oultache aurait achetée aux Etats-Unis et qu'il aurait payée 100 dollars. "Ma carte professionnelle fait office d'autorisation", rétorque Oultache. Le magistrat Benkharchi n'est pas d'accord avec cet argument : "Ce n'était pas une arme de fonction mais une arme personnelle et donc l'autorisation était obligatoire." Le président de l'audience appelle à la barre le secrétaire particulier du défunt DGSN, qui confirme que quand il est entré dans le bureau du DGSN, Tounsi était déjà mort. Dehlel Abdelaziz jure d'apporter fidèlement son témoignage. "Oultache a insisté pour voir le DGSN. Au bout de quelques minutes, j'ai entendu deux coups de feu. J'ai pensé à des pétards ou à un bruit causé par les travaux en cours ce jour-là au niveau de l'édifice. J'ai appelé à plusieurs reprises M. Tounsi pour lui rappeler la réunion. Il ne répondait pas. À 10h45, Oultache est sorti du bureau et m'a demandé d'appeler Daïmi, Ouazzar et Abdrabou. C'est ce que j'ai fait. Quand on est arrivé au bureau, j'ai vu le DGSN gisant dans une mare de sang". Le magistrat lui demande : "Qui a tué Ali Tounsi ?". Le secrétaire particulier du DGSN répond : "Il n'y avait personne à part lui dans le bureau. Quand j'ai franchi le seuil de la porte du bureau, le DG était mort. Il ne gémissait pas." Le chef de la sûreté d'Alger, Abdrabou, reconnaît qu'il n'était pas en bons termes avec l'accusé. "J'ai averti plusieurs fois le DG sur des soupçons de corruption qui pesaient sur Oultache. Il approvisionnait les sûretés de wilaya avec du matériel de mauvaise qualité. Mais le DG lui vouait une confiance aveugle. Il a tenté de nous réconcilier. Oultache a juré, depuis, d'avoir ma peau. Je pense que ce jour-là, il avait réellement l'intention de me tuer aussi. C'est un traître. Je l'aurais volontiers jeté en prison si le DG me l'avait permis." Des membres des familles d'Ali Tounsi et de Chouaïb Oultache ont été également appelés à la barre, en ce premier jour du procès, pour apporter leurs témoignages sur la relation entre l'accusé et la victime. Le magistrat a, en outre, entendu l'ex-directeur des affaires sociales de la DGSN, actuellement conseiller au ministère de l'Intérieur, ainsi que Zebouti, commissaire principal qui a soutenu qu'Oultache a refusé de les laisser porter secours au DGSN. "Il m'a dit : ‘J'en ai fini avec lui'." Le directeur de l'administration générale de la DGSN ne s'est, quant à lui, pas présenté à l'audience, alors qu'il s'était constitué partie civile. À noter qu'au tout début de l'audience, la défense d'Oultache a réclamé la convocation d'une liste supplémentaire de 14 témoins, sur laquelle figurent trois médecins légistes : les professeurs Rachid Belhadj, Madjid Bessaha et Youcef Mehdi. Le procureur de la République s'y est opposé, sous prétexte que la convocation des témoins relève exclusivement des prérogatives du parquet. "Le collectif de défense de l'accusé a, certes, introduit une demande dans ce sens au niveau du parquet, mais il l'a fait trois jours avant l'audience qui était pourtant programmée depuis le mois de décembre. Donc, on ne peut pas convoquer cette liste", a-t-il objecté. Après une brève délibération, le président du tribunal criminel donne suite à la requête des avocats. Il ordonne également la réquisition de la force publique pour ramener plusieurs des quarante témoins auditionnés durant l'instruction et qui ne se sont pas présentés hier à l'audience. Le procès se poursuit aujourd'hui avec, peut-être, de nouvelles révélations. Nissa Hammadi