C'est incontestablement l'une des principales leçons des législatives du 4 mai : les Algériens ont massivement boudé les urnes. Ni la mobilisation générale du gouvernement ni les appels répétés des partis et encore moins l'appel de Bouteflika n'ont eu l'effet escompté auprès des électeurs. Que l'abstention soit passive ou active, comme tentent de l'expliquer certains observateurs, cela n'enlève rien au fait que le Parlement élu part largement handicapé par l'absence de légitimité et que les partis entrés en compétition ont tous été sanctionnés à certains égards. Même s'il est crédité de 164 sièges, le FLN n'a recueilli que 800 000 voix, soit seulement un peu plus de 3% du nombre total des électeurs. Mais la grande bérézina est enregistrée, sans aucun doute, chez l'opposition dans ses diverses déclinaisons idéologiques. Alors que les islamistes ont perdu presque la moitié de leurs députés, les scores du RCD, du FFS et du PT se sont rétrécis comme une peau de chagrin. Même en Kabylie, région réputée acquise au courant démocratique, ces partis ont laissé des plumes. Faut-il alors y voir les signes de la fin d'un cycle ? Ou faut-il mettre ce recul sur le compte de la fraude, dénoncée à l'unisson par l'opposition, les entraves de l'administration pour un exercice sain de la politique, la stratégie d'étouffement de toute entreprise contradictoire adoptée par le pouvoir ou des problèmes endogènes dans le fonctionnement des partis ? "Avant l'entame de la campagne électorale, nous avions averti sur la tendance lourde qui éloigne, de scrutin en scrutin, nos compatriotes des urnes. Cette attitude est à la fois le résultat des fraudes électorales à répétition, porte ouverte à la corruption endémique, de la fermeture ou du contrôle médiatique et des obstructions et entraves récurrentes et multiformes érigées contre les activités des partis politiques et du mouvement syndical et associatif autonomes", soutient le RCD. Enseignante à la faculté des sciences politiques et des relations internationales, Louisa Dris Aït Hamadouche pointait, elle, du doigt, bien avant le début du scrutin, la crise de confiance qui n'est pas de nature à conférer à l'opposition une place sur l'échiquier d'autant qu'elle est "éclatée" et "divisée" et dont les positions "désorientent parfois l'opinion". "La place de l'opposition dans ce scrutin est très difficile car éclatée en amont et divisée en aval. Certains étaient à la tête du mouvement du boycott de 2014 et sont participationnistes en 2017 ; à l'inverse, des participationnistes de 2014 sont boycotteurs en 2017, alors que d'autres ont boycotté 2012 et 2014 et participent à la course en 2017... Ces virages à 180° sont très problématiques pour une opinion publique qui a déjà une très mauvaise image de la classe politique, objet d'une profonde crise de confiance", souligne-t-elle. Regroupée au sein de la CLTD, l'opposition algérienne, faute d'avoir réussi à créer un rapport de force au sein de la société pour amener le pouvoir à négocier une transition, a laissé apparaître quelques signes de "désaccords", notamment au sein de l'Icso, depuis que certains de ses membres ont décidé de participer au scrutin alors que d'autres ont préféré boycotter, comme l'admet Abderrazak Makri, président du MSP. "L'Icso a connu quelques désaccords. Mais la CLTD est toujours présente, c'est une instance qui a pu se maintenir, elle peut relancer son travail", explique Makri. Mais à la lumière des nouvelles donnes, l'action de l'Icso peut-elle connaître un prolongement au sein de l'hémicycle ? "Toutes les démarches sont possibles", soutient-il. Si l'on excepte le FFS dont la démarche demeure ambiguë, aux yeux de l'opinion, le reste de l'opposition semble convaincue que seule la construction d'un rapport de force est à même d'apporter le changement. "La question aujourd'hui est comment remobiliser les citoyens. Ceux qui croient qu'avec le boycott ou l'abstention, les choses vont changer, se leurrent. C'est possible de remobiliser, l'essentiel est de ne pas se tromper d'objectif. L'essentiel est de construire un rapport de force", soutient Mohcine Belabbas qui admet cependant que "jusque-là, on n'a pas réussi". "(...) on va dégager les formes appropriées pour aider les luttes en cours, intensifier nos interventions politiques et créer un rapport de force au profit de la majorité", résume Louisa Hanoune, même si son parti n'est pas favorable à la tranition, revendication phare de l'opposition dans sa grande majorité. "Les résultats (...) traduisent le refus de la réalité politique actuelle, un sens politique qui représente un pas de géant vers le changement. Et pour cela, il faut un mouvement, une dynamique et trouver l'intelligence pour le faire", souligne, de son côté, Djilali Soufiane. Mais à la lumière de la nouvelle configuration politique issue du scrutin du 4 mai, des révisions déchirantes s'imposent, assurément. Karim Kebir