Au regard du désaveu populaire clairement exprimé par un taux de participation historiquement bas, le Président est contraint, ne serait-ce qu'à travers un geste symbolique, à opérer une espèce de rupture. C'est probablement l'un des plus gros échecs du gouvernement : les mauvaises prédictions sur le taux de participation aux élections législatives du 4 mai dernier. Selon les derniers chiffres du Conseil constitutionnel, ils sont quelque 35,37% d'électeurs à s'être rendus aux urnes, soit un peu plus de 8 millions sur un total de plus de 23 millions d'électeurs. Si l'on exclut le nombre de bulletins nuls estimés à 1,7 million, que l'on peut interpréter comme un acte de rejet de toutes les offres politiques, pour certains, ou comme un moyen de se mettre à l'abri d'éventuelles "représailles" de l'administration, pour d'autres, le nombre de personnes qui a voté s'élève finalement à seulement 6,5 millions. Un chiffre loin de conférer à la future Assemblée, dont la législature débutera le 15e jour suivant la date de proclamation des résultats par le Conseil constitutionnel, toute la légitimité recherchée. Ni l'appel de Bouteflika à un vote massif, ni celui des acteurs politiques impliqués dans la compétition électorale, ni la mobilisation des mosquées et des zaouïas, encore moins les visites de Sellal dans plusieurs wilayas, notamment celles où le gisement électoral est important, comme Oran, Sétif et Batna, n'ont réussi à susciter l'intérêt des Algériens à ces élections révélatrices sans aucun doute d'une grave crise de confiance et actant l'impasse politique dans laquelle s'est fourvoyé le pays. Ce déficit de légitimité n'est pas sans avoir des incidences sur la nature du futur Exécutif qu'aura à nommer le président de la République. Et, d'ores et déjà, les interrogations vont bon train sur l'attelage qu'aura à mettre sur les rails le président de la République, pour, d'une part, faire face à la crise économique qui ne manquera pas de se corser davantage, à mesure que les réserves s'amenuisent, et, d'autre part, répondre au "grognement sourd" de la population, à travers un geste politique fort, à la mesure du rejet massif. La première d'entre elles : Sellal sera-t-il maintenu ? Si, a priori, sa fidélité à toute épreuve au Président qu'il a servi loyalement ces dernières années et sa proximité supposée avec le cercle présidentiel peuvent le servir, il n'en demeure pas moins que les "ratés" de ses ministres, dont ceux de la Santé, avec l'histoire du vaccin, de l'Education avec la fraude au bac, l'Agriculture avec la "viande brésilienne", l'Intérieur avec "l'argent sale utilisé par les partis dans la confection des listes", l'industrie avec le scandale "du montage de voitures", sans compter le ratage du "Forum d'affaires africain", ses "bisbilles" avec Abdeslam Bouchouareb et ses "loufoqueries", ne plaident pas en sa faveur. Encore qu'au regard du désaveu populaire, le Président est contraint, du moins à travers un geste symbolique, à opérer une espèce de rupture. Autre interrogation : l'élargissement de la composante de l'Exécutif aux formations politiques qui siègeront au sein de l'Assemblée. En d'autres termes : verra-ton un gouvernement de coalition nationale, comme l'a proposé le MSP, il y a quelques mois ? Le mérite de l'attelage aura à associer les partis dans la gestion de la crise. Si, d'ores et déjà, on peut avancer sans risque de se tromper que l'ANR, le MPA et TAJ, eux qui n'ont jamais dissimulé leurs ambitions, sont disposés à figurer dans le futur Exécutif, tel n'est pas le cas du RCD et du PT. L'un et l'autre ont déjà expliqué qu'ils ne peuvent évoquer la question de l'Exécutif que "s'ils obtiennent la majorité des sièges". Restent le FFS, l'alliance MSP et l'alliance Al-Adala-Ennahda-El-Bina. Après avoir annoncé publiquement son désir de retourner à l'Exécutif, le MSP d'Abderrezak Makri semble avoir été refroidi par les résultats des législatives. Malgré un score honorable, il considère qu'il a été spolié, d'où son revirement de samedi dernier annonçant son refus de siéger dans le futur gouvernement. Mais c'est sans compter sur la pression d'une aile au sein du parti, incarnée par l'ancien président Bouguerra Soltani, qui fait le forcing pour un retour au sein du pouvoir. L'interrogation entoure aussi le FFS. Même si l'on voit mal sa présence au sein de l'Exécutif, au risque de s'aliéner sa base qui s'est rétrécie comme une peau de chagrin, le FFS, prisonnier de son leitmotiv de reconstruction du "consensus national", pourrait être tenté de "faire l'expérience". Quant à l'autre alliance islamiste, dont certains membres ont des positions tranchées, elle monnayera probablement fort une éventuelle "aventure" au sein de l'Exécutif. Mais encore faut-il qu'ils soient sollicités, car, à l'issue des résultats de jeudi dernier, le gouvernement appartiendra à la majorité, c'est-à-dire aux deux partis du pouvoir, le FLN et le RND. Mais vu le contexte, Bouteflika sera amené à faire des dosages pour se sortir de cette grave crise d'illégitimité. Mais, c'est assurément un véritable casse-tête pour lui. Karim Kebir