L'association Bruits des mots de Béjaïa et l'anthropologue Tassadit Yacine ont organisé, samedi dernier, un colloque intitulé "Mouloud Mammeri : cent ans après ? De Taourirt Mimoun à Timimoun ou la traversée du siècle". Ils étaient six universitaires et chercheurs, Halim Berretima, Abdelkader Yefsah, Ali Sayad, Ramdane Achab, Mustapha Tidjet et Hafid Adnani, à se joindre à la directrice de recherche à l'EHESS Paris, Tassadit Yacine en l'occurrence, afin de lever le voile sur les multiples facettes de l'auteur de La colline oubliée et de L'opium et le bâton. Bien que présent au théâtre de la ville de Béjaïa, qui a abrité la rencontre, Rachid Bellil n'a pas pu donner sa communication après deux nuits blanches ; Amin Zaoui n'avait pas fait, quant à lui, le déplacement à Béjaïa. Comme on ne pourra pas restituer fidèlement, et en quelques lignes surtout, ce que les différents universitaires et chercheurs ont pu apprendre au public sur l'œuvre, plurielle, de Mouloud Mammeri d'autant qu'un autre colloque se déroule présentement à Oran, nous n'avons retenu que la communication de Tassadit Yacine. La raison est bien simple. Elle a présenté Mouloud Mammeri non pas en tant qu'écrivain, militant culturaliste, voire même "ethnologue", mais visionnaire. Et cela à travers une communication qu'il avait donnée au lendemain de l'Indépendance, en 1963, et publiée sur Révolution africaine. Ce qui m'intéresse, dira-t-elle d'emblée, c'est l'esprit de Mammeri. "C'était quelqu'un qui travaillait sans bruit, sans confrontation. Toujours en quête de sens, de connaissance." Et la rencontre d'aujourd'hui se veut un prélude à un colloque : "Essayer de cerner l'œuvre, la pensée." Et d'affirmer que "Mammeri n'est pas un choix, c'est un prétexte." Une quête sur l'amazighité, fondée sur l'humanisme. "C'était aussi un universaliste", dira-t-elle avec insistance. Et la pièce de théâtre intitulée Le banquet ou la mort absurde des Aztèques en est un exemple concret. L'auteur y déclare, d'entrée de jeu, que la mort des Aztèques offre la version nue d'une tragédie devenue planétaire. Et les faits vécus de par le monde ne cessent de lui donner raison. Tassadit Yacine a souligné que Mammeri avait un discours situé, daté. "Pourquoi je vous dis cela ? En mai 1963, il donne une conférence, publiée sur Révolution africaine et intitulée : Si Ibn Khaldoun revenait parmi nous." Il y fait part du rapport de la politique et de la religion. Il expliquait notamment qu'au Moyen Âge, Ibn Khaldoun défendait la raison. Et d'inviter, d'une manière détournée, le nouveau pouvoir politique à s'appuyer sur la raison, comme s'il appréhendait ce qui qui allait advenir après. Et d'insister sur un point, à savoir qu'il y a des choses que la raison ne peut pas éteindre, la foi en l'occurrence. "Qu'est-ce qu'il savait ou avait aperçu ? Pourquoi cette question de l'Etat et de la raison en ce moment-là ? Qu'est-ce qu'il dirait de l'Algérie d'aujourd'hui ? Le pouvoir politique ? Le mouvement berbère ?" Autant de questions que l'anthropologue a soumis à débat, à la réflexion. "Cet homme était véritablement visionnaire." Il avait vu avant tout le monde la montée du fondamentalisme, entretenu à dessein. Et les faits vécus de par le monde ne cessent de lui donner raison. L'auteur de La colline oubliée était convaincu qu'Ibn Khaldoun -dont il était admiratif- était plus éclairé au Moyen Âge que les dirigeants du Maroc et de l'Algérie en 1962, soit au lendemain des indépendances.