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Le blues de la « Gerboise bleue »
Reggane
Publié dans Liberté le 15 - 06 - 2017

Reggane, le 13 février 1960, l'armée française effectue son premier essai nucléaire sur le sol algérien, la tristement célèbre « Gerboise bleue ». Elle sera suivie par trois autres essais aux couleurs blanche, rouge et verte.
Des décennies plus tard, des « fuites » feront état d'une clause secrète dans les accords d'Evian qui permettront aux français de poursuivre leurs essais jusqu'en 1967.
Notre journaliste est allé à la rencontre de la population locale de Reggane et de Hamoudia ! il y a fait la connaissance de plusieurs survivants, notamment du célèbre « Badidi », figure locale incontournable qui a accepté de raconter son histoire.
Badidi, survivant de la « Gerboise bleue », notre principal témoin.
La date ? Le 10 aout 1957. Le lieu? Hamoudia à 70 kilomètres de Reggane dans le Sud Est algérien. Les acteurs ? Les soldats de la 2eme compagnie du 11eme régiment du génie saharien. Notre principal témoin ? Badidi, ancien « valet de chambre » qui se souvient comme si c'était hier du débarquement massif de soldats dans sa région.
Sitôt arrivés, ces derniers commencent par une première tournée au centre de Reggane. Ils tâtent le terrain, amadouent la population locale, discutent avec les anciens et offrent même des bonbons aux enfants excités par tant d'agitation.
En fait, ils sont à la recherche de personnel à recruter, maçons, ouvriers et femmes de ménage pour la construction et la maintenance d'une future base à vocation pour l'instant inconnue.
Badidi, 20 ans à l'époque se fait embaucher comme ouvrier puis comme valet de chambre auprès du « Colonel », il se souvient :
« Il me suffit de fermer les yeux pour les revoir tellement la scène m'avait marqué, c'était en aout vers les coups de midi, je discutais tranquillement avec un cousin quand on les a vu se découper dans le lointain, comme une colonne de fourmis.
C'était impressionnant, Ils étaient très nombreux. Ils se sont presque tout de suite mis au travail, ont construit des baraquements, goudronné les routes, et commencé à embaucher à tour de bras jusqu'en février 1960, date à laquelle ils s'étaient complètement appropriés les lieux »
3 ans plus tard donc, même lieu, même heure et érection d'une base militaire impressionnante totalement équipée des commodités les plus modernes. Des bâtiments construits en béton, de gigantesques structures métalliques, plusieurs réfectoires, une infirmerie, des postes de secours jusqu'au terrain de tennis qui ne fut pas oublié.
Dans l'air, une tension palpable, un pressentiment sombre de la part des villageois.
« On ne savait pas ce qui se préparait, mais il est vrai que l'architecture était....très spéciale, tout était construit en béton ce qui était....bizarre dans le désert algérien.
Pendant 3 ans, il y'avait des grues dans tous les coins et des matériaux de construction arrivaient chaque jour par camions entier sans interruption. Ils ont même placé des câbles électriques et des postes de secours avec du personnel détaché de toute la région de la Saoura »
Ksar Taarabt, Le village avec le taux de malformations génétiques le plus élevé du pays
Une fois les travaux terminés, les militaires aux ordres des Colonels Sucheau, Vivier-Marc et du Lieutenant-Colonel Morand (Noms fournis de mémoire par notre témoin) commencent à sonder la population avec beaucoup de tact pour transmettre une curieuse d'information aux villageois
« C'était complètement surréaliste quand j'y repense un demi siècle plus tard, mais à peine quelques jours après la fin des travaux, ils sont venus chez nous pour nous apprendre ...qu'ils préparaient un essai nucléaire, une bombe atomique quoi !! La grande majorité de la population était analphabète, ils ne comprenaient rien à ces histoires d'atomes et de radiations, les plus éclairés ont juste visualisé dans leur tête une petite explosion sans conséquences qui allait avoir lieu à des kilomètres. chez nous pour nous apprendre ...
Ils nous ont alors remis comme des médaillons que nous devions accrocher autour du cou et ne jamais enlever quelles qu'en soient le prix »
Pas de simples médaillons, mais des plaques en métal gravés avec les noms, prénoms et date de naissance de ces véritables cobayes humains
destinés à mesurer l'ampleur des dégâts potentiels provoqués par la bombe.
Badidi se masse le cou de manière inconsciente, et continue son récit.
« Ils ont désigné un médecin chef chargé de faire 2 tournées, les mardis et mercredi dans la région pour avertir la population locale de l'explosion imminente de la bombe. Nous avions pour consigne de sortir de chez nous juste après un signal convenu et de ne surtout ne pas fixer le flash provoqué par la bombe.
Ils nous ont aussi donné des espèces de scoubidous qu'on devait accrocher aux portes de nos maisons et qui devaient servir (on l'apprendra plus tard) a mesurer la portée des ondes radioactives » .
Un des nombreux aveugles qui hantent les rues de Ksar Taarabt
Nous sommes à J-1 avant l'explosion de la gerboise bleue. La bombe est ramenée sur place de nuit et dans la plus grande discrétion.
Les dernières consignes sont transmises aux villageois. Le signal sera donné par un avion qui traverserait le ciel quelques secondes avant l'explosion. A ce moment, il fallait fermer les yeux, et se jeter a terre, le visage plaqué au sol.
Nous sommes le 13 février 1960, il est 7h04 du matin..... Un bruit d'avion brise la quiétude du ciel de Hamoudia, c'est le signal convenu....et soudain, l'apocalypse...
« Même les yeux fermés et plaqués au sol, nous avons perçus la lumière à travers nos paupières. C'était un flash aveuglant, presque.....glacial. Je me souviens m'être dit sur le coup qu'il n'y avait pas eu de dégâts vu le silence de mort qui régnait partout.....Mais quelques secondes plus tard, on entendit un bruit assourdissant, un son effrayant qui hante encore mes nuits des années plus tard. La terre a tremblé pendant de longues minutes interminables, c'était le chaos, la fin du monde. Les rares vitres des maisons et des véhicules ont éclatés, les portes en bois se fracassaient.....et c'est la que la véritable horreur a commencé »
Plusieurs témoignages concordent pour décrire l'atrocité absolue des scènes qui ont suivi : Des femmes enceintes qui enfantent sur place sous le coup de la frayeur, insoutenable. Le cristallin de l'œil de la plupart des villageois devient opaque sous la pression devient opaque, en plus des spasmes, des vomissements, des cris et des pleurs ! Un choc terrible dont Badidi garde encore le souvenir.
« La plupart de mes voisins ont perdu la raison et sont devenus fous de terreur ! Imaginez une scène de panique générale au milieu de la poussière avec des gens qui courent partout en se tenant le visage. Certaines femmes ont carrément fait des fausses couches sur place, c'était horrible. Des maladies inconnues sont apparues dans les 3 villages juste après. Pour vous donner une idée, nous avions 2 aveugles seulement dans toute la région avant la bombe, venez voir aujourd'hui combien il y'a d'aveugles a Reggane. sans parler de l'augmentation à plus de 70 % des maladies respiratoires »
4 essais, 3 explosions, 4 couleurs, de la gerboise bleue a la verte en passant par la blanche qui n'a pas explosé et la rouge, rouge sang évidemment.
Depuis ce 13 février 1960, les habitants de Reggane qui ont tout enduré refusent une seule chose, l'Amnésie.
Saadaoui Abderrahmane a perdu la vue immédiatement après l'explosion
Une des très nombreuses « cérémonies du souvenir », les habitants de Reggane refusent d'oublier

Rabah Gasti et Mouloud Fater


Interview de Hamid Belkacem

Hamid Belkacem est une figure incontournable de l'écologie en Algérie. Ingénieur de formation, journaliste engagé, militant écologiste depuis de nombreuses décennies, il compte parmi ses chevaux de bataille la sauvegarde du parc d'El Kala et bien évidemment, l' « affaire » des essais nucléaires de Reggane.

Hamid Belkacem, vous revenez tout juste de Reggane ou vous avez participé à une émission de radio sur le lieu même ou a explosé la fameuse « gerboise bleue ». 55 ans après les faits, qu'en reste-t-il ?
La problématique est toujours « irradiante » si je peux me permettre l'expression. Je m'explique. Il vous suffit de vous rendre à Reggane pour constater que plus d'un demi-siècle après ces événements, 7 femmes sur 10 n'arrivent toujours pas à mener leurs grossesses à terme.....
Statistiques officielles ? Vérifiées ?
Absolument. Ce sont les chiffres des sources sanitaires locales, accessibles par tout un chacun.
J'étais à Reggane il y'a à peine une semaine et j'ai eu le triste privilège d'assister à la naissance d'un enfant atteint de monophtalmie, c'est-à-dire d'un bébé qui n'avait qu'un seul œil au milieu du front.
Les malformations génétiques sont devenues monnaie courante à Reggane.
De plus, le pourcentage de personnes atteintes de cancer est le plus élevé du pays, coïncidence ? Je ne pense pas.
Ces problèmes sanitaires seraient imputables aux essais nucléaires ?
Permettez moi de ne pas parler d'essais nucléaires, mais plutôt de crimes nucléaires. Quand on parle d'essais, on pense fatalement à un modèle réduit, à une maquette, à un échantillonnage.
Remontons le temps jusqu'en 1945 et Hiroshima. La puissance de « Little Boy » était de 15 KT, l'équivalent de 15.000 tonnes de TNT si vous préférez, c'est bien évidemment énorme.
Cette bombe a été larguée par les américains pour mettre à genoux l'empire du soleil levant, les emmener a signer la reddition et mettre un terme à la 2eme guerre mondiale. Ce n'est pas moi qui invente, c'est de l'histoire, ce sont des faits. Il y'a eu 45.000 morts sur le coup, et 300.000 sur la durée.
Le 13 février 1960 quand explose « gerboise bleue », la puissance dégagée était de 70 KT, soit 4,6 fois la puissance d'Hiroshima.....
Pour les personnes qui connaissent bien le sud algérien, le flash nucléaire était visible à Kerzaz, à 330 km au sud-est de Béchar, c'est vous dire l'intensité de l'explosion !
Donc on ne peut pas qualifier cela d'essai....
Certainement pas, c'est un crime perpétré à plusieurs niveaux. On a parlé des dégâts sur la santé publique plus haut, mais les conséquences économiques sont tout aussi énormes.
Il faut rappeler que Reggane était une oasis prospère, qui – malgré sa position géographique en plein milieu du Sahara – arrivait non seulement à l'autosuffisance, mais aussi et surtout à exporter vers le Mali et le Niger des légumes et des céréales.
C'était une région fertile qui produisait du blé, de l'orge et du seigle. Il y'avait de l'agro-pastoralisme à Reggane avant la gerboise. Après la bombe.....il n'y'a plus rien !
Un véritable désastre écologique...
Absolument ! Contamination des nappes phréatiques, du sol, de l'air et des rares plantes qui subsistent.
Ces dernières années, on parle beaucoup de Reggane, parce que c'est le crime atomique absolu. Mais il ne faut pas oublier la base de B2-Namous à coté de Bechar avec son cortège d'armes bactériologique et celle de Hamma Guir avec les fameux missiles !
Il y'a une expertise à mener dans la région pour quantifier l'impact du lessivage des sols, c'est une nécessité historique, sanitaire, écologique et économique.
De plus Hamid, il n'y a pas eu un seul « essai » nucléaire mais 4, sans parler des « souterrains »...
Tout à fait ! La « gerboise blanche » n'a pas explosé..... Et à partir du moment ou une bombe atomique n'explose pas, ou se trouve-t-elle selon vous ? Exposée sur les Champs Elysées ? Dans un musée ? Bien sur que non, elle est toujours à Reggane, quelque part....
Il y'a eu donc 4 essais à Reggane sur le plateau de Hamoudia, et 13 essais « souterrains » au niveau de In Ecker un peu plus au nord de Tamenrasset.
Un des essais affectueusement nommé après coup « l'accident de Béryl » a d'ailleurs couté la vie à Pierre Mesmer, le ministre de la guerre de l'époque. Un nuage radioactif est sorti de la montagne avec une intensité importante, le vent a malheureusement tourné et le nuage a enveloppé la délégation officielle.
Beaucoup de militaires français ont été irradiés, rapatriés en France et quasiment enfermés pour cause de secret-défense.
Quant à Pierre Mesmer, il a fini par mourir d'un cancer quelques années plus tard.
Donc si un ministre de la guerre français a été exposé, quid des populations aux alentours...
Vous militez pour l'indemnisation des victimes ?
Je pense qu'un état souverain comme l'Algérie ne devrait pas parler d'indemnisation !
Pour le cas qui nous occupe, Il ne s'agit pas d'un seul crime, mais de multi-récidivisme. Pourquoi ?
Quand les français ont quitté l'Algérie bien après l'indépendance du pays (clause secrète des accords d'Evian), ils ont laissé sur place beaucoup de matériaux radioactifs. Matériaux qui ont été transportés par des récupérateurs qui les ont disséminés un peu partout au Sahara, et probablement même au nord !
A titre d'exemple, on a utilisé des cornières ou des ronds à béton, pour couler des dalles ....et quand on coule une dalle avec du matériel irradié, ça reste présent pour des siècles et des siècles. C'est ce qui expliquerait la redondance des cas de personnes atteintes de cancer dans la région.
Sans oublier la fameuse demi-frégate, les tanks et les avions qui ont été exposés aux radiations et enterrés sur place.
L'Algérie n'a jamais pu avoir accès à une cartographie exacte pour trouver cet équipement qui constitue encore aujourd'hui une source importante de radioactivité.
Au lieu d'aller vers un chemin que je pense être une impasse, celle de l'indemnisation, il serait – à mon humble avis- souhaitable, d'avoir un dialogue franc avec la France et d'exiger la cartographie précise des lieux ou ont été enterrés ces matériaux fortement irradiés !
La population locale ne veut pas, pour des raisons de sol et de sang, quitter la région .
Quand il y'a eu Tchernobyl, on a construit un mur de béton autour pour neutraliser la radioactivité ! Aujourd'hui, il ne faut pas poser une chape de plomb sur ces événements mais attaquer le problème de face, décontaminer sur place et faire appel – pourquoi pas- a l'expertise française, européenne ou autres.
Interview réalisé par Rabah Gasti et Mouloud Fater


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