Economiste et analyste politique, Ferhat Aït Ali, un des intellectuels les plus prolifiques, analyse pour nous le plan d'action du gouvernement Tebboune et la batterie de mesures préconisée pour faire face à la crise. Liberté : Le contenu du plan d'action du gouvernement, adopté par le Conseil des ministres, a été rendu public. Quel commentaire pouvez-vous faire concernant l'esprit des réformes envisagées ? Ferhat Aït Ali : Dans l'ensemble, les réformes développées dans le plan d'action du gouvernement semblent s'inscrire dans la continuité de ce qui a été développé dans les précédents plans du gouvernement auquel il a succédé. Ces réformes politiques, juridiques et socioculturelles, sur lesquelles chacun peut se faire sa propre idée en fonction de sa chapelle politique ou de ses attentes, sont au stade des bonnes intentions pour le moment. Le volet économique de ce plan, tombé à une période de vraies vaches maigres budgétaires, souffre de l'absence de mécanismes et de timing précis, pour un vaste chantier de refonte intégrale de notre économie. Réformer les systèmes de dépenses publiques, fiscales et bancaires, souffrant d'orientations précédentes intenables pour le premier, et d'archaïsmes internes et d'autres secteurs comme les TIC pour les deux derniers, nécessite plus que des équipes de travail et des promesses de réformes différées ou contrecarrées par différentes parties qui semblent incapables de vivre dans une économie normale comme toutes les sociétés. Certains volets dits sociaux, sont devenus des sortes d'acquis irréversibles et indiscutables, quels que soient les conditions et les moyens de l'heure, et même des tremplins politiques, pour des parties qui, sans être impliquées dans la gouvernance, sont impliquées dans ses errements, par leur penchant pour la surenchère et la menace, à chaque fois que leur unique fonds de commerce semble menacé. Les gouvernements successifs semblent tétanisés par cette surenchère et leurs éventuelles répercussions sociopolitiques, qui me paraissent exagérées en comparaison avec d'autres volets plus dangereux à moyen terme comme le chômage et la sous-formation des jeunes.
Devant l'effondrement des recettes pétrolières et pour renflouer les caisses de l'Etat, le gouvernement préconise, entre autres solutions, de voir du côté de la fiscalité ordinaire. Les mesures énoncées sont-elles réalisables dans les conditions actuelles de notre économie ? Du côté de la fiscalité ordinaire, le gouvernement ne parle que de 11% de plus, soit 280 milliards de dinars, si on s'en tient aux 2 600 milliards engrangés en 2016, et cela semble difficile à réaliser vu les restrictions qu'il compte faire sur les importations, unique source de fiscalité réelle, en dehors de l'IRG sur les salaires des fonctionnaires, les autres IRG étant eux même tributaires d'une économie construite sur la donne importation en priorité. Et quand bien même, il y arriverait, cela ne réduirait pas de beaucoup le déficit de 2018, celui de 2017 n'ayant lui même aucun parachute propre au Trésor après le premier semestre au 30 juin courant. La relance sous entendant d'autres exonérations et facilités fiscales pour entraîner ou revivifier l'investissement productif, il ne faut pas trop compter sur la fiscalité ordinaire, déjà bien lourde en pourcentage du PIB, dont elle représente presque 18% en pression hors charges sociales et parafiscales, intégralement prélevées, sur le segment formel de l'économie qui, elle, nourrit plus le secteur informel que celui qui la nourrit. Le vocable de financement non conventionnel ne renvoie à rien de précis, permettant ainsi toutes les spéculations possibles sur sa signification réelle. Pour ma part, je pense que si l'Algérie a toujours été limitée en matière de formules de financement de ses dépenses publiques ou même de ses investissements publics ou privés à deux formules se résumant aux banques et au Trésor, rien n'est non conventionnel, ou non essayé et pratiqué ailleurs. Parler de financements alternatifs, serait plus adéquat, et préciser leur nature encore plus judicieux. Certains sont allés vers la fameuse formule de l'emprunt hallal développée par le précédent ministre des Finances. Au delà d'être conventionnelle dans l'absolu car usitée ailleurs que chez nous, cette formule n'a aucune chance de dépasser ou même d'égaler en résultats, le précédent emprunt obligataire qui a fini par ponctionner les entités publiques ou privées sur leurs propres dépôts déclarés, en lieu et place de l'épargne informelle. Il faut se rendre à l'évidence, que l'absence d'engouement pour le placement public ou même les dépôts transparents en banque, n'a pas pour origine le caractère licite ou illicite de la transaction bancaire courante, mais tout simplement le caractère informel et menacé des revenus ciblés, et aussi le caractère informel et fort lucratif des activités qu'il entretient en underground. Et, sauf révolution économique, juridique et monétaire, il n'y a aucun facteur nouveau de manière à pousser des parties ayant engrangé le gros de la masse fiduciaire en circulation, et qui attendent les prochaines émissions pour les capter, de nature à les inciter à une rédemption sous couvert religieux. S'agissant de la question de l'investissement, l'Exécutif maintient la règle 51/49. Quel est, d'après vous, l'impact qu'aura cette attitude sur l'avenir des IDE en Algérie au moment où le pays en a assurément besoin ? Cette règle 51/49, comme toutes les mauvaises initiatives, bénéficie d'une sorte de sacralisation a posteriori, que les résultats de son application ne justifient pas du tout, bien au contraire. Les mêmes parties qui ont sauté dessus comme une aubaine, certaines pour des motifs de surenchère idéologique de foire, et d'autres pour des intérêts bien compris, ont réussi à l'imposer comme une sorte de constante nationale, en passe de ne disparaître qu'avec le pays. Dans les faits, cette règle boiteuse, n'empêche pas seulement les vrais investisseurs et les vrais investissements avec fonds et projections sérieuses à l'appui, de nous choisir comme destination. Mais, en plus, elle couvre tous les partenariats boiteux dans lesquels nos 2 points de majorité sont payés à 100% par des capitaux locaux, et dans des partenariats aux montages aussi peu orthodoxes, que les projections qu'ils proposent à l'appui. Une formule, de préférence nationale à 100% pour les petites industries sans grand savoir-faire ou capitaux engagés, et les industries militaires, serait plus judicieuse. Cela en laissant les gros investissements à fortes nécessités de capitaux et de technologies de pointe, se faire au gré du pacte des actionnaires, ou en solitaire pour toutes les parties, ayant quelques chose de sérieux à proposer et surtout des moyens à apporter. Le maintien de cette règle, est tout simplement la fermeture à toutes les grandes firmes cotées en Bourse et détenant aussi bien des brevets que des marchés, des portes de notre pays, sauf pour des actions ponctuelles, sporadiques et avec gains rapides et perçus souvent en amont même de l'investissement ou de l'importation d'intrants. L'Algérie n'arrive pas encore à mettre en place les jalons pour une véritable économie alternative. Comment jugez-vous les intentions de l'Exécutif sur cette question de haute importance ? Une véritable économie alternative est une économie qui colle aux standards universels en matière de règles de gestion et d'intervention de l'Etat et des lois dans la marche normale de l'économie. Or pour y arriver, il faudrait peut-être avoir une vision alternative du monde, plus conforme à ces standards communément admis, et ne pas essayer de faire de l'économie de marché sous la menace et les hurlements des résidus de la variante la plus ratée de l'histoire du socialisme, qu'est la variante algérienne. En économie, comme en tout, il faut savoir et pouvoir faire des choix clairs, intégrés et précis et les assumer envers et contre tout et tous, après les avoir explicités. On n'implique pas la société dans ses choix en faisant des demi-choix ou de retournements, mais en faisant les bons choix, avec les bons moyens et les bon calculs, en étant convainquant par la rationalité de ses projections. En période de crise, les discours et démarches qui tendent vers la chose et son contraire, ou la prise de décision sous l'œil des segments les plus négatifs de la société ou de la classe politique, ne sert qu'à perdre du temps et de l'argent, en rendant l'impasse encore plus rétrécie. Les plans de bataille s'étudient au camp, avec les parties engagées le lendemain dans la bataille, et pas sur le champ de bataille avec des parties bien au chaud à l'arrière du front. Il en va de même en économie. Entretien réalisé par : Hamid saïdani