Dans cet entretien, le premier responsable de la commission présente une évaluation de la situation des énergies renouvelables (ENR) en Algérie et propose des solutions pour accélérer et réussir leur programme. Liberté : Comment analysez-vous la situation des énergies renouvelables en Algérie ? Mourad Louadah : En termes d'existant, les capacités de production sont minimes par rapport aux potentialités de l'Algérie. On est à quelques centaines de MW tous secteurs confondus. Il n'y a pas beaucoup de centrales photovoltaïques d'une capacité de 50 à 100 MW, le marché n'est pas ouvert et Sonelgaz exerce un monopole de fait sur le secteur. De plus, tant que le prix du kilowattheure est administré, il n'y aura aucune attractivité. Par contre, si on doit parler des potentialités, c'est un marché extrêmement rentable sur tous les plans. On a un taux d'ensoleillement de 2 800 à 3 500 h/an et qui est le plus important au monde, on peut produire un kilowattheure à partir des EnR, compétitif par rapport à celui produit à partir du gaz. On va utiliser des centrales hybrides, l'énergie solaire le jour et le gaz (ou le gasoil) la nuit. On va économiser immédiatement 10 à 15% de gaz si on développe les centrales à énergie solaire. À long terme, on arrivera aussi à économiser 25 à 30% de gaz par ce biais qui peut être valorisé ou exporté. Pour réussir cette transition, il faut passer par des projets à moins de 500 Mw/an, en s'appuyant sur l'entreprise algérienne et ses partenaires. Un changement de programme est aussi nécessaire, envisager de produire 2 000 Mw en photovoltaique en 2022 au lieu des 4 050 Mw. Une fois que l'expérience est réussie, on peut actionner d'autres programmes plus grands et plus ambitieux. Il faut uniquement faire le premier pas. On a déjà assez perdu de temps. Le programme de développement des énergies renouvelables date de 2011. Qu'est-ce qui bloque le programme des énergies renouvelables ? On ne parle pas de blocage, mais plutôt de retard. Ce retard est dû à l'écosystème et surtout aux prix de l'énergie subventionnée par l'Etat qui décourage les opérateurs économiques à investir dans le secteur. Si on veut développer le secteur à base du solaire, il faut ouvrir le marché à l'entreprise algérienne ou au partenariat public/privé (PPP). Sonelgaz a des problèmes d'efficacité en productivité dus à sa gestion. On enregistre une perte d'énergie qui varie entre 15 à 20% avec un réseau mal entretenu et des branchements non autorisés (vol d'électricité). Elle perd de l'argent dans la gestion des installations de production d'électricité conventionnelle. Nous avons besoin de lois qui protègent les investisseurs. Le développement des ENR connaît un retard important. Comment accélérer ce programme ? Pour accélérer le programme des EnR en Algerie, il faut déjà séparer la production d'énergie (centrales à énergie solaire) de la fabrication industrielle. Quand vous demandez aux mêmes opérateurs de soumissionner sur trois volets, à savoir centrales, fabrication industrielle de modules photovoltaïques et onduleurs, et lui demandez de connecter l'énergie produite à partir des centrales PV au réseau, et que ce même opérateur doit ramener un financement extérieur à hauteur de 80%, c'est trop demander, et en plus à un prix qui avoisine les 4 DA par kilowattheure, cette démarche devient une utopie. (NDLR : allusion à l'appel d'offres de 4 050 MW qui sera bientôt lancé et qui prévoit que celui qui réalise les centrales doit également produire les équipements en Algérie (ou associer des partenaires pour fabriquer sur place ces équipement). Par ailleurs, il est impératif d'assurer une stabilité de la réglementation pour rassurer les investisseurs dans le secteur. La nouvelle ministre de l'Environnement et des Energies renouvelables a parlé d'une nouvelle stratégie. Quelles pourraient être les recommandations que la commission du FCE pourrait soumettre dans ce cadre ? On doit d'abord se féliciter de l'apparition des mots énergies renouvelables au niveau d'un ministère. Nous nous mobilisons, comme à l'accoutumée, pour soutenir toute bonne volonté visant l'intérêt national et naturellement le developpement des EnR et, particulièrement, toute approche concourant à ces objectifs. À ce titre, toutes les volontés du Fce à travers les membres de la commission des EnR et de la communauté des spécialistes algériens, que nous fédérons, sont à la disposition de Mme Zerouati, ministre de l'Environnement et des Energies renouvelables, au même titre que pour M. Guitouni, ministre de l'Energie. Pour revenir à votre question, nous allons soumettre des propositions pour déployer les énergies renouvelables dans les zones dépourvues d'électricité. À titre d'exemple, le gouvernement compte attribuer 1,4 million d'hectares réparti entre le Sud, avec une moyenne de 940 000 ha, et les Hauts-Plateaux, avec une moyenne de 413 000 ha. La taille des fermes agricoles oscille entre 50 ha et 500 ha. Certains autres projets atteignent des tailles beaucoup plus importantes entre 10 000 ha et 30 000 ha. Pour toutes ces exploitations, il faut de l'eau et de l'énergie. Comme ce sont de nouveaux périmètres et de nouvelles grandes exploitations, l'énergie n'est souvent pas présente. Les récentes restrictions budgétaires au niveau de l'Etat rendent difficile, voire impossible, la satisfaction d'une forte demande de raccordement, car il faut aussi construire de nouvelles centrales à proximité. Nous proposerons des solutions pour allier le solaire photovoltaïque au diesel permettant des économies importantes en gasoil. Cela va diminuer encore davantage la faramineuse facture des carburants importés. Par ailleurs, nous soutiendrons des solutions basées sur des premiums pour les ménages, les industriels, les agriculteurs qui souhaitent s'équiper en systèmes photovoltaïques, qu'ils soient raccordés aux réseaux électriques de Sonelgaz ou installés en hors réseaux. Entretien réalisé par : K. Remouche