Velléité terroriste ou règlement de comptes entre familles désormais soudées par la haine ? Pour les enquêteurs, les indices cumulés accréditent la première thèse. Pour la famille du prévenu, ce n'est ni plus ni moins qu'une cabale montée contre Abderazak Besseghir. En attendant que l'enquête aboutisse, ce jeune Algérien de 25 ans est mis en examen pour “association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste” et “infraction à la législation sur les armes, les munitions et les explosifs”. La vie de Abderazak Besseghir bascule ce samedi 28 décembre 2002. Paris, aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle. Il est 5h30 du matin quand le jeune homme prend son service. Employé depuis trois ans comme bagagiste à la société de fret Europe Handling, il a toujours donné satisfaction à ses employeurs. Abderazak participe tous les jours au chargement et au déchargement des avions sur les pistes de l'aéroport. “Un garçon sans histoire”, selon Robert-Noël Castellani, conseiller du groupe, interrogé par Le Parisien. Hormis quelques problèmes familiaux, on ne connaît pas d'histoires à ce jeune homme né en Algérie et recruté par sa société après une batterie d'entretiens. Un employé tellement nickel que son badge d'accès en zone réservée avait été renouvelé en novembre dernier. Pourtant, depuis la recrudescence des menaces terroristes qui planent sur la France, le contrôle est devenu plus rigoureux. Plus pointu. “Son badge a été revalidé, et il n'y a pas eu le moindre problème sur sa personne”, atteste la société des Aéroports de Paris (ADP), citée par le journal Le Monde. Deux heures après avoir pris son service, Abderazak, revêtu de la tenue fluorescente réglementaire des employés de l'aéroport, inspecte le coffre de sa 206 noire garée dans le parking public du terminal 2F. Pour quel besoin ? On ne le saura pas. Mais un témoin est présent sur les lieux. Marcel L. assiste à la scène. Il aurait vu Abderazak manipuler une arme. Ancien légionnaire reconverti dans la sécurité privée, Marcel connaît son métier. Il reconnaît le cliquetis d'une arme, même manipulée à distance. Les deux hommes ignorent la présence de chacun dans le sous-sol. Abderazak retourne sur la piste et Marcel alerte la police des frontières. Les policiers mettent en place le dispositif d'urgence pour cueillir le suspect. Dans la plus grande discrétion, le véhicule est placé sous surveillance. Il est 14h30 lorsque Abderazak termine son service. Il regagne sa voiture quand les éléments de la Police des frontières (PAF) l'interpellent. Dans le coffre du véhicule, les policiers découvrent un arsenal de guerre : un pistolet automatique, un pistolet-mitrailleur de marque Scorpio de fabrication israélienne, deux kilos de tolite, un puissant explosif de fabrication yougoslave, deux détonateurs et une mèche lente. Le tout soigneusement emballé dans un sac en plastique, fermé par du papier adhésif. Abderazak est arrêté, alors que des enquêteurs se rendent au domicile de ses parents, à Bondy, un pavillon de Seine-Saint-Denis. 36, quai des Orfèvres. Abderazak subit les premiers interrogatoires menés par la brigade criminelle de la police judiciaire. La garde à vue bute sur l'intransigeance du suspect : il refuse de donner des explications sur la présence des armes découvertes dans son véhicule. Il oriente les enquêteurs sur une piste : celle d'un acte purement criminel qui serait perpétré par sa belle-famille. Un acte de vengeance, selon Abderazak. À ce stade, les enquêteurs ne peuvent négliger aucune piste. Les moindres éléments sont exploités. Il faut éplucher le passé du jeune prévenu et chercher plus d'indices sur son lieu de travail. Et interroger le principal témoin, Marcel L. L'homme est connu par la police. Il a été récemment condamné à Paris pour une affaire de trafic d'armes. Avait-il agi pour le compte de la belle-famille de Abderazak ? Le fait que l'ancien légionnaire réside non loin de la belle-famille pourrait être un indice qui validerait la thèse d'un complot. Aurait-il récupéré le second jeu de clés de la voiture auprès de la belle-famille pour y déposer les armes ? Après recherche, le second jeu a finalement été retrouvé chez l'ancien propriétaire de la 206. L'interrogatoire et la confrontation entre le témoin et le suspect n'ont rien donné. La police finit par le relâcher. La thèse du complot familial s'effiloche. Mais pourquoi donc Abderazak veut-il charger sa belle-famille ? Pourquoi veut-il faire accréditer la thèse d'un complot perpétré par sa belle-famille ? Retour sur un passé ponctué par un terrible drame. 7 juillet 2002. Abderazak et sa femme Louisa effectuent des travaux de peinture dans leur domicile. Soudain, un incendie éclate dans la chambre de leur bébé âgé de 10 mois. Le bébé a survécu au désastre, mais pas la mère. Louisa périt dans la fournaise après d'intenses souffrances, deux mois après le drame. Passé le deuil, la famille de la défunte doute. Elle doute de la version officielle. La famille de Louisa soupçonne le mari d'avoir mis le feu pour se débarrasser de la maman. Elle dépose une plainte pour “assassinat” près le tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Abderazak a été entendu par la police judiciaire, sans plus. La police avait retenu la thèse d'une mort accidentelle. La famille de Louisa vient de relancer l'affaire en contactant un avocat, Me Gilbert Collard, qui a déposé une plainte avec constitution de partie civile. L'avocat parle dans les colonnes de journaux et évoque “un contentieux d'ordre religieux”. “Mes clients forment une famille musulmane libérale et moderne, affirme-t-il. Pour nous, Louisa est morte brûlée suite à une dépression liée à l'évolution de ses conditions de vie.” Selon la mère de la victime, Abderazak forçait son épouse à “vivre selon le coran des talibans”. Il avait brusquement basculé dans “l'intégrisme”. Pour les amis du prévenu, il en est autrement. “Il respecte le ramadhan, mais aime aussi faire la fête. Il adore regarder des DVD, jouer au foot, boire un verre de temps en temps”, affirme un de ses amis au journaliste du Parisien. La belle-famille veut-elle à tout prix récupérer la garde de l'enfant ? Selon les amis de Besseghir, le prévenu aurait reçu des menaces de mort. Info ou intox ? Pour en savoir plus, les enquêteurs veulent entendre les membres de la famille de Abderazak. Son père, ses deux frères et un oncle sont placés en garde à vue après avoir été interpellés au domicile familial à Bondy. L'oncle, commerçant à Tlemcen, finira par être mis en examen pour situation irrégulière en France. Il s'est procuré une fausse carte de séjour dans un quartier populaire parisien. Les interrogatoires des trois personnes ne donnent pas grand-chose en dépit d'une garde à vue qui a duré 72 heures. La famille de Abderazak maintient la thèse du complot. Face au silence du prévenu, les juges prolongent la période de détention, alors que les enquêteurs dénichent de nouveaux éléments accablants. Dans le casier de Abderazak à Roissy, les chiens renifleurs découvrent des traces d'explosifs ainsi que des particules sur la banquette arrière de la voiture. Pour les policiers, cela démontre que les pains ont transité par le siège arrière avant d'être déposés dans le coffre. Les analyses sont en cours pour démontrer la nature des particules. Qui d'autre aurait pu les déposer dans la voiture puisque seul Abderazak possède un jeu de clés ? La thèse d'une préparation d'un attentat progresse cependant qu'un un nouvel élément vient compliquer davantage la tâche des enquêteurs. Les empreintes digitales relevées sur les armes et les explosifs retrouvés dans le coffre du véhicule ne sont pas celles de Abderazak Besseghir. Pour l'avocat, Me Philipe Dehapiot, “si à l'issue de l'ensemble des analyses, on ne retrouverait aucune empreinte qui corresponde à celles d'Abderazak Besseghir, on aurait la confirmation qu'il n'a eu aucun contact physique avec ces armes et ces explosifs, ce qu'il a toujours confirmé”. Des analyses complémentaires sont en cours. Elles devraient être déterminantes d'autant que les services de renseignements algériens, interrogés par leurs collègues français, n'ont trouvé aucun lien entre la famille Besseghir, originaire de Tlemcen, et des réseaux islamistes implantés en Algérie. En attendant les résultats de l'enquête, la famille de Abderazak fait bloc derrière lui. Hichem, le frère, plante une banderille dans les colonnes de Libération : “Je me souviens avoir entendu le père de Louisa se vanter de connaître un légionnaire qui pouvait avoir des armes.” La famille n'en démord pas. Et la police recherche désormais d'éventuelles complicités au niveau de l'aéroport. Querelles de familles ou tentative d'attentat ? Les enquêteurs ont du pain sur la planche. F. A.