"Vous devez vous autosaisir dans toute affaire portant atteinte aux terres agricoles", a dit le ministre de la Justice aux magistrats. La parenthèse dans l'allocution du ministre de la Justice et garde des Sceaux, Tayeb Louh, ce jeudi depuis Oran, ne pouvait pas passer inaperçue : elle faisait directement écho aux dernières mesures prises par le Premier ministre, Abdelmadjid Tebboune, de geler les "décisions portant affectation des réserves foncières agricoles destinées à la création de nouvelles exploitations agricoles et d'élevage". Alors que le ministre de la Justice se trouvait à la cour d'Oran, à l'occasion de l'installation d'un nouveau procureur général près cette cour, il évoquera les cas de détournements et d'atteintes aux terres agricoles, devant un parterre de magistrats, d'avocats et de représentants des autorités civiles et militaires venus assister à la cérémonie d'installation. "Préserver les terres agricoles, lutter contre les atteintes à ces terres agricoles, quelle qu'en soit la nature (...) C'est votre mission, mais aussi celles de toutes les institutions", dira clairement le ministre. Celui-ci rappellera qu'il avait déjà donné des instructions et autres recommandations aux magistrats allant dans ce sens : "Vous devez vous autosaisir dans toute affaire portant atteinte aux terres agricoles. La préservation et la protection des terres agricoles constituent un principe inscrit dans la nouvelle Constitution." Tayeb Louh annonce ainsi clairement l'ouverture d'enquêtes judiciaires sur des cas de détournement et d'octroi douteux de foncier agricole. Et d'ajouter qu'il s'agit d'une grande responsabilité "impliquant directement la sécurité alimentaire du pays" et, par extension, "sa stabilité, sa sécurité". Toujours à l'adresse des magistrats, Tayeb Louh donnera en exemple une wilaya, sans la nommer, où les Domaines ont intenté une action en justice pour faire annuler des décisions d'affectation de terres agricoles. Le ministre concède que ces orientations, si elles s'inscrivent de manière globale dans la lutte contre la corruption, les crimes économiques et autres détournements, ne peuvent concerner le seul secteur de la justice : "C'est une mission qui nécessite la participation de toutes les institutions de l'Etat, et je le dis clairement : le magistrat, la justice est la dernière étape, il faut, en amont, de la prévention." Et c'est une tâche qui incombe, selon lui, "à d'autres institutions". Il a conclu ce chapitre de son intervention en soulignant que ces dossiers doivent être traités avec toute la rigueur et la force de la loi. Pour l'ensemble des présents, cette sortie du ministre de la Justice et garde des Sceaux s'inscrit largement dans le cadre de la volonté affichée du gouvernement Tebboune de remettre en cause des choix et des décisions prises par son prédécesseur. Pour rappel, lors d'un Conseil interministériel, M. Tebboune a instruit les ministres concernés, ceux des Finances et de l'Agriculture, de revoir "les textes et les dispositifs réglementaires régissant la gestion, l'affectation et l'exploitation des réserves foncières agricoles, en veillant à mettre un terme aux contradictions constatées, et d''élaborer un nouveau cahier des charges déterminant les conditions d'accès aux réserves foncières agricoles du Domaine national". Dès lors, l'on estime que les orientations de Tayeb Louh au corps des magistrats procèdent du "détricotage" du système Sellal. D. LOUKIL