La justice ne doit plus attendre qu'on la saisisse pour agir dans les cas d'atteinte au foncier agricole, mais elle doit s'autosaisir pour une célérité d'action, car le processus de récupération de la terre agricole et son rétablissement dans sa vocation d'origine se réduit à un vain exercice une fois celle-ci est en proie au béton. C'est l'essentiel du message adressé aux juges par Tayeb Louh, jeudi au palais de justice d'Oran, au détour d'une cérémonie d'installation du nouveau PG de cette cour, Abdelkader Mostefaï. Et c'est dans cet ordre d'idées, c'est-à-dire la nécessité d'une réaction prompte et efficace pour la mise en échec des tentatives de détournement du patrimoine foncier agricole, que le ministre de la Justice, garde des Sceaux, a donné l'exemple d'une wilaya, dont il n'a pas cité le nom, où l'on a pu annuler à temps, via une action en justice, des décisions et des affectations qui concernaient le foncier agricole. Le ministre s'est même félicité de l'initiative menée par la direction des Domaines de l'Etat de cette wilaya -avant de relativiser en soulignant que cette institution n'aura fait que son travail- qui a lancé récemment une action en justice devant le tribunal administratif pour annuler des actes (de cession ou concession ; le ministre n'ayant pas précisé) qui portaient sur des terres relevant du foncier agricole de cette collectivité locale. «Les juges doivent s'autosaisir et entamer des poursuites judiciaires dans les cas d'atteinte aux terres agricoles quelle que soit l'origine de ces atteintes», a plaidé le ministre de la Justice du haut de la tribune de la grande salle d'audience de la Cour d'Oran, devant un parterre de magistrats et d'auxiliaires de justice, et en présence des autorités locales, civiles et militaires. Pour justifier -à priori- son insistance sur ce sujet, dont il a fait le thème central de son discours, Tayeb Louh a tenu à rappeler le (nouveau) contexte politique, en rapport direct avec la constitutionnalisation de la protection des terres agricoles. «Le principe de la préservation des terres agricoles comme moyen assurant la sécurité alimentaire et la stabilité sociale figure dans la dernière Constitution amendée par le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, qui a exhorté à lutter contre toute forme d'atteinte sur des terres agricoles», a-t-il souligné. La rareté des terres arables en Algérie est en effet au cœur des préoccupations gouvernementales, poussant l'exécutif à introduire dans la nouvelle constitution adoptée en mars 2016 des dispositions visant à renforcer la protection des terres agricoles, sur fond de rétrécissement de la superficie agricole utile du pays et la fragilité de la base de la sécurité alimentaire au regard de la tendance à la hausse des importations de produits alimentaires. La constitutionnalisation du principe de la préservation des terres agricoles suffit-elle pour protéger le patrimoine foncier agricole de la dilapidation ? Tayeb Louh fait montre d'un sens pragmatique, en tout cas, vis-à-vis de cette problématique, en affirmant que le fait de constitutionnaliser ce principe dénote de la volonté politique de l'Etat à préserver les terres agricoles, laquelle résolution ne peut se traduire sur le terrain qu'à la condition que «tous les efforts se conjuguent et avec la contribution de toutes les institutions de l'Etat». A y regarder de plus près, cette mise en branle de la machine judiciaire contre la «dilapidation» des terres agricoles a des relents d'une démarche relevant d'un plan d'action gouvernemental, dont le dernier fait en date est la décision prise récemment, lors d'un Conseil interministériel présidé par le Premier ministre Abdelmadjid Tebboune, portant «gel des décisions d'affectation des réserves foncières agricoles destinées à la création de nouvelles exploitations agricoles et d'élevage, notamment les fermes pilotes associant des partenaires privés, en attendant l'arbitrage du Conseil des participations de l'Etat (CPE) qui se tiendra prochainement».