Mis sous pression à l'intérieur du pays par une opposition majoritaire au Parlement, mais aussi par les puissances occidentales, notamment à travers une féroce campagne médiatique, le président du Venezuela, Nicolas Maduro, continue d'assumer l'héritage de la "Révolution bolivarienne" et du combat en faveur de la justice socialiste de son prédécesseur, Hugo Chavez, décédé en 2013. Le représentant diplomatique de Caracas à Alger revient dans cet entretien sur les derniers développements dans son pays, en apportant un autre éclairage sur ce que vit ce pays qui, comme l'Algérie, dépend en quasi-totalité des revenus pétroliers, en forte baisse ces trois dernières années. Liberté : Pourriez-vous nous éclairer sur les derniers évènements qui ont émaillé votre pays ces dernières semaines, notamment avec le référendum pour l'élection d'une Assemblée constituante qui vient de prendre ses fonctions ? José de Jesus Sojo Reyes : Le référendum a pu se tenir malgré les actes de violences qui avaient pour but de semer un climat de peur et de terreur, et ainsi empêcher les gens de se rendre aux urnes. Et il y a eu deux types de violences : physique et psychologique. Néanmoins, 42% du corps électoral s'est rendu aux urnes. Cela signifie qu'au moins 42% sont en faveur de la proposition du président Nicolas Maduro d'élire une Assemblée constituante et établir un processus de paix. Nous considérons cela comme quelque chose de très significatif. Même l'élection organisée pour la Constitution de l'Union européenne n'a pas dépassé les 40%. Ce taux de participation est quasiment similaire lors des différentes élections organisées au niveau des Etats de l'Amérique du Sud. D'ailleurs, si on prend les pays de l'Amérique du Sud qui ont contesté le référendum sur la Constituante, on notera que leurs chefs d'Etat ont été élus à des pourcentages inférieurs. Justement, il y a dix-sept pays sur trente-cinq de l'Organisation des Etats américains (OEA) qui ont voté contre ce projet de l'Assemblée constituante. Cela ne fragilise-t-il pas davantage Caracas ? Pour commencer, ces pays n'ont pas eu les votes nécessaires au sein de l'OEA pour faire passer ce qu'ils voulaient. Et même s'il y a des pays qui réclament l'application de la Charte démocratique, il ne rejette pas pour autant le processus électoral dont est issu l'Assemblée constituante. Il y a les pays des Caraïbes qui sont majoritaires et qui ont reconnu la légitimité de ce processus. Mais finalement, ce qui compte c'est la volonté du peuple vénézuélien et non pas l'opinion d'un parti de droite en Argentine ou ailleurs. Parce que déjà, leur opinion ne représente pas forcément l'opinion de leur peuple. Pour nous, le gouvernement du Brésil est illégitime et, selon les sondages, il n'a pas plus de 10% de popularité. Nous avons d'ailleurs reçu du Brésil un énorme soutien de la part de la population, des partis et d'autres organisations de la société civile. Maintenant, ce qui est important pour nous, c'est ce que va formuler comme propositions cette Assemblée constituante, en invitant toutes les parties à dialoguer et à chercher des solutions pour une paix durable entre Vénézuéliens. Il y a la conviction que la solution au problème vénézuélien doit provenir des Vénézuéliens eux-mêmes. Nous avons aussi la conviction qu'il faut mettre fin à tous les processus de blocus initiés par certains pays contre le Venezuela, à travers leur blocage des investissements étrangers dans notre pays. Nous avons d'ailleurs remarqué que ces pays ont exercé une forte pression sur leurs compagnies aériennes pour ne plus desservir le Venezuela. Ces mêmes pays ont exercé des pressions sur les banques internationales pour ne pas octroyer des crédits à notre pays et pour ne pas acheter les bons vénézuéliens. Cela signifie-t-il qu'une partie des Vénézuéliens qui conteste ce processus est manipulée par l'étranger ? Oui, il n'y a aucun doute sur le fait qu'il y ait un financement et une manipulation étrangère concernant les actes de violences enregistrées au Venezuela. Le président Nicolas Maduro accuse ouvertement l'agence de renseignement américaine, la CIA, de financer l'opposition. Est-ce qu'il y a des preuves formelles ? Il n'y a pas que la CIA qui finance l'opposition vénézuélienne. Il y a beaucoup de mécanismes d'intervention. D'ailleurs, quand on voit Marco Rubio, le sénateur de Floride du temps de l'ancien président américain Barack Obama, faire dire que le Venezuela constituait une menace et convaincre le Congrès américain à voter des mesures permettant à Washington d'agir en conséquence, même si ce n'est pas le cas, il y a de quoi s'inquiéter. Le président des Etats-Unis, Donald Trump, n'a d'ailleurs pas écarté l'éventualité d'une intervention militaire au Venezuela. Et est-ce qu'il a été pris au sérieux au Venezuela ? Et est-ce que vous pensez qu'il mettrait à exécution ses menaces ? Je pense que toute déclaration émanant du chef d'Etat du pays le plus puissant au monde, qui investit des milliards de dollars dans l'armement, doit être prise au sérieux. Qu'il le dise de manière sérieuse ou dissuasive, cela est une question qu'il faudrait lui poser (à Donald Trump). Ce que je peux dire, c'est que le peuple vénézuélien, et même les autres peuples d'Amérique du Sud, ont eu une réaction d'indignation face à une telle déclaration. Les douze pays qui se sont réunis récemment au Pérou ont rejeté ces déclarations parce que leurs populations ne les laisseraient pas sans rien dire face à de telles menaces. Ce ne sont pas donc les seuls Vénézuéliens qui considèrent les déclarations américaines complètement insensées. Toutefois, ce qui ressort des menaces américaines, c'est que Washington fait tout ce qu'il peut pour chasser Nicolas Maduro du pouvoir. Les menaces d'intervention sont aussi un message adressé aux investisseurs américains pour leur expliquer que la situation est incertaine à Caracas. Concrètement, le Venezuela a-t-il vraiment une capacité de résistance face à toute cette pression politique, dans un contexte marqué par d'importantes difficultés économiques liées à la chute des prix du pétrole ? Pas que le gouvernement. Le peuple vénézuélien résiste aussi à la pression et il a commencé à mieux comprendre ces trois dernières années pourquoi notre économie s'est détériorée. Mais nous ne sentons pas seuls dans le monde. Nous avons énormément de soutien de la part des pays non alignés. Les quatre tentatives de faire appliquer la charte démocratique au sein de l'OEA ont été vouées à l'échec. Et bien que la presse internationale ne veuille pas le dire, notre président a toujours été ouvert au dialogue. Et plusieurs anciens chefs d'Etat et de gouvernement, comme l'ancien Premier ministre espagnol José Luis Rodríguez Zapatero, l'ancien président du Panama Martin Torrijos, l'ancien président de la République dominicaine, Leonel Fernández Reyna, rejoints par le Vatican, ont dialogué au sein de l'Unasur (Union des nations sud-américaines) pour proposer leur médiation. La proposition du Vatican à nous asseoir autour d'une même table de dialogue a été bien accueillie au Venezuela. La libération de l'opposant Leopoldo Lopez et sa mise en résidence surveillée a été le fruit des efforts engagés en faveur de l'apaisement. Comment expliquez-vous dans ce cas le rejet par le Vatican de l'Assemblée constituante ? C'est le secrétariat du Vatican qui s'est exprimé. Cela n'a d'ailleurs pas de sens parce que le secrétariat du Vatican s'est prononcé après le référendum, en disant qu'il n'y avait pas de prestation de serment alors que le peuple s'était déjà exprimé. Mais ce que les médias étrangers ne disent pas, et c'est très significatif, c'est que les violences ont cessé depuis la tenue de ce référendum. Ce qui est important pour nous, c'est le cours des évènements politiques de ces derniers jours, marqué par un retour à la tranquillité. D'ailleurs, il y a l'élection des gouverneurs qui est programmée. Plus de 300 candidats issus de l'opposition se sont inscrits pour la course électorale. En résumé, tout cela prouve que la pression est exercée au niveau international et par une partie minoritaire de l'opposition vénézuélienne. La chute des prix du pétrole, dont le Venezuela est un grand exportateur, ainsi que l'arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche n'ont pas mis plus de pression sur Nicolas Maduro ? Oui, naturellement ! La chute des prix du pétrole a provoqué la chute des revenus du pays de plus de 50%, ce qui provoque un changement dans le mode de consommation et pousse à réorganiser l'économie locale. Mais le dommage politique a été encore plus fort que les dégâts économiques. Et regardez aussi la conjoncture politique en Amérique du Sud. Car si on prend des pays comme l'Argentine, le Brésil ou la Colombie, ils ont toujours été au cœur des processus de médiation. Et là, on les retrouve plus comme partie que comme médiateur. La crise qui secoue le Venezuela n'est-elle pas plutôt une crise de la gauche sud-américaine ? Il y a une crise mondiale, une crise pétrolière qui affecte les pays exportateurs de l'or noir. Mais aussi, ce qui se passe aujourd'hui c'est que l'arrivée de Donald Trump au pouvoir aux Etats-Unis constitue un moment politique fort en Amérique du Sud, où les partis de droite au pouvoir dans certains pays orchestrent quelque chose pour faire partir Maduro. Avec les huit millions de votants qui se sont rendus aux urnes pour élire une Assemblée constituante, j'espère que tous ces pays comprendront que l'image qu'ils ont tenté de vendre est erronée. Peut-on faire un parallèle entre ce que vit le Venezuela actuellement avec les évènements vécus par le Chili en 1973 et qui ont abouti à la destitution du défunt président Salvador Allende et son exécution par des miliciens, soutenus par les chancelleries occidentales ? Il y a quatre mois, les troubles qu'a connus le Venezuela étaient une tentative de coup d'Etat contre le président Nicolas Maduro. Ce qu'on peut dire, malgré ce qui s'est passé, il y a beaucoup de cohésion au sein des forces armées. Donc, on est loin de ce qui s'est passé au Chili en 1973. Et ils devraient comprendre que ce n'est pas la voie à suivre. Et que ceux qui cherchent à déstabiliser notre pays laissent les Vénézuéliens aller voter sereinement pour leur maires, leurs gouverneurs, et puis en 2018 pour choisir en toute liberté leur président de la République. L. M.