Dans cet entretien, le spécialiste de l'économie nationale décrypte pour les lecteurs le plan d'action du gouvernement Ouyahia. Il pointe du doigt, de surcroît, les dangers du recours à la planche à billets. Liberté : Comment analysez-vous le plan d'action du gouvernement Ouyahia ? M. C. Belmihoub : Les annonces faites ne permettent pas d'analyser les choix opérés au plan économique. On annonce un plan d'action du nouveau gouvernement, de nouveaux instruments de financement de l'action publique et des réformes profondes dans le système économique. Quand on parle de réformes économiques globales, on fait généralement référence à une réforme des politiques publiques (comment satisfaire les besoins de la société et comment impulser la croissance économique par l'intervention de l'Etat et des collectivités territoriales) et une rénovation des politiques économiques (il s'agit principalement des politiques de régulation : organisation des marchés et concurrence, politique de taux de change, politiques d'incitation à l'investissement, politique fiscale....). Sur l'ensemble de ces questions, le plan d'action du gouvernement ne donne aucune précision. On peut noter que ce plan est la copie conforme des précédents plans, c'est-à-dire une présentation d'une liste de bonnes intentions. En effet, on peut noter que tous le secteurs sont cités dans des termes flous, comme poursuivre, accompagner, protéger, soutenir, parachever, moderniser, sauvegarder... sans décliner ni comment, ni avec quoi, ni par qui ni à quel horizon temporel. Ni les objectifs ne sont quantifiés ni les ressources ne sont évaluées pour chaque action. Pour nuancer ce jugement, deux ou trois indications sont données : nombre de logements restant à réaliser à fin 2019, nombre de projets de microentreprises à financer dans le cadre du dispositif Ansej-Cnac, respectivement 23 000 et 30 000 et la production d'électricité qui sera portée à 30 000 mégawatts. Bien entendu, on ne donne ni le coût de ces actions, ni la manière de les financer et encore moins leurs impacts sur la société et l'économie et moins encore sur l'évaluation des actions listées dans le plan d'action du gouvernement. Dans les prochains budgets publics de l'Etat pour 2018 et 2019, des données budgétaires sur le financement de ces actions seront déclinées, mais le système de gouvernance en place ne pourra jamais décliner des objectifs autres que ceux d'allocation des crédits et ne précisera jamais comment seront évaluées ces actions en termes de satisfaction de besoins, coûts supportés par l'Etat et délais requis. C'est pourquoi nous disons que si les objectifs ne sont pas quantifiés ou au moins susceptibles d'être mesurés, ils ne sont que des intentions ou des vœux. Comment commentez-vous le recours aux avances de la Banque d'Algérie au Trésor pour surmonter la crise financière qui affecte l'Algérie ? Maintenant, sur le deuxième volet des réformes, c'est-à-dire la politique économique, le communiqué du Conseil des ministres se limite à un seul aspect : l'introduction du financement non conventionnel. Dans ce cadre, un projet d'amendement de la loi sur la monnaie et le crédit est proposé pour lever les verrous existants dans la loi en vigueur. Aujourd'hui, le Trésor peut demander des avances à la Banque d'Algérie limitées à 10% des recettes fiscales ordinaires et remboursables avant la clôture de l'exercice budgétaire. Donc, à travers cet amendement, on ouvre de nouvelles possibilités de financements pour le Trésor auprès de la Banque d'Algérie. On ne précise pas les modalités qui seront utilisées pour ces nouveaux financements. On peut relever, par exemple, le plafond du taux et le délai de remboursement et aller plus loin en permettant à la BA d'acheter les titres du Trésor (obligations et bons du Trésor) à moyen et long terme (pour les titres à court terme, on le fait déjà). Le communiqué du Conseil des ministres se limite à préciser l'utilisation des prêts octroyés par la BA au Trésor : "1. financer les déficits du budget de l'Etat, 2. Financer la dette publique interne et 3. Allouer les ressources au FNI." On ne précise pas le montant de ces avances, ni leur encadrement pour éviter des dérives dans la création monétaire, parce que la BA va financer ces opérations par la planche à billets, elle n'a pas d'autres ressources qui ne soient pas déjà mises au profit du Trésor. Le niveau d'engagement de la BA est-il laissé à l'appréciation du gouvernement en fonction des besoins ? Ou en fonction des capacités de la BA dans le cadre de sa principale mission qui est la lutte contre l'inflation ? Par contre, on précise que "ce mode de financement exceptionnel sera instauré pour 5 ans et sera accompagné de la mise en œuvre d'un programme de réformes structurelles économiques et financières destinées à rétablir l'équilibre des finances publiques ainsi que l'équilibre de la balance de paiement". Nous sommes, paradoxalement, dans une démarche de type FMI : on avance des ressources au pays et on le soumet à des conditionnalités de réformes pour rétablir les équilibres et dégager des ressources pour rembourser les crédits de facilités ; sauf que dans le cas algéro-algérien (BA-Trésor), la partie qui va superviser la mise en œuvre des réformes (le gouvernement) n'est soumise à aucune contrainte et surtout à aucun engagement formel ou contractuel, comme c'est le cas avec une institution internationale, ici H'na Fi H'na et La'ab Hmida wa Racham H'mida.... D'autres considérations interviendraient et d'autres priorités politiciennes ou populistes prendraient le dessus sur la rigueur de la rationalité économique. Le FMI veille à la mise en œuvre des réformes conditionnées, la BA n'a pas cette prérogative ni les contraintes à imposer au gouvernement. Cette comparaison, utilisée pour l'illustration, ne signifie pas que je préconise le recours au FMI. Nos finances publiques n'ont jamais été sous contraintes fortes (exception du PAS), soit parce que les ressources étaient souvent disponibles, soit parce que les règles de l'orthodoxie financière n'ont pas été toujours respectées (la BA est la seule institution qui a été dotée d'un statut fort par la loi 90/10 qui lui a permis de fonctionner jusque-là selon des règles et des normes conformes aux standards internationaux) et maintenant qu'on fait sauter le verrou de la BA, on va puiser dans cette institution sans avoir à subir de véritables contraintes. Donc, ce n'est pas le recours à ce mode de financement dit non conventionnel qui est le problème (le gouvernement avance des arguments en donnant une liste de pays qui l'ont pratiqué, et quels pays ? : le Japon, les USA et le RU). Mais avons-nous la puissance économique de ces pays, la qualité de la régulation de leurs économies et surtout la puissance des institutions financières et la gouvernance politique des finances publiques ? On n'a pas pris les "bons exemples" pour argumenter ce choix, parce que pour ces pays cette démarche avait un seul objectif, juguler les effets de la crise financière de 2008. Ce n'est pas, encore une fois, le recours à ce mode, dans l'absolu, qui est en cause mais les conséquences de ce mode dans un système institutionnel de régulation, de gouvernance et de volonté politique pour conduire des réformes structurelles qui est inefficace et sans vision au-delà de l'année budgétaire. Nous dirons qu'il y a un risque de dérives graves des finances publiques si on ne mettait pas en place les règles sévères de gouvernance du système financier. La facilité est l'ennemi de la rigueur et de la rationalité. Quel sera l'impact de cette décision ? Les conséquences d'une telle démarche : on va faire cohabiter deux politiques, financière et monétaire, expansionnistes et chacune va cumuler ses effets sur l'autre dans un cercle vicieux. La Banque d'Algérie, de son rôle de régulateur va devenir un financeur direct au même titre que le Trésor. La BA a abaissé, il y a quelques semaines, le taux de réserves obligatoires pour améliorer le niveau d'intervention des banques commerciales dans le financement des entreprises. Comme on l'a mentionné plus haut, la BA va répondre à la demande du Trésor par l'émission de monnaie (planche à billets), la spirale inflationniste sera le minimum en termes de conséquences de cette démarche alors que la mission principale de la BA est justement la lutte contre l'inflation. Les conséquences immédiates seront : une spirale inflationniste, un effet d'éviction sur le marché du crédit pour les entreprises au profit de la sphère publique, alors que le financement du FNI est une discrimination en défaveur du secteur privé. Sans l'investissement productif des entreprises, la substitution des importations et la diversification des exportations ne seront que des leurres. Tout compte fait, ce qu'on a voulu éviter en optant pour une dévaluation du dinar, l'inflation, on l'aura par la création monétaire. Avec une dévaluation du dinar on aurait certainement réduit les importations et limité la croissance de l'économie informelle. La démarche est donc extrêmement risquée. Que préconisez-vous comme solutions alternatives à ces financements ? Des perspectives de solutions de sortie de crise existent pourtant et ont commencé à être débattues, il s'agit des finances alternatives. Cette perspective viserait la collecte d'une partie de l'épargne informelle au profit des investisseurs. Nous avons évoqué, dans ce texte, plusieurs fois la question de la gouvernance et ses deux volets : la transparence et l'évaluation de l'action publique. Elle est au cœur de toute l'action publique, en faire abstraction, c'est compromettre l'avenir du pays à travers la crise structurelle de ses finances publiques. On nous dit encore que le financement non conventionnel est adossé à des réformes structurelles économiques et financières qui assureront le rétablissement des équilibres à moyen terme, mais on ne définit pas ces politiques et selon quelles modalités elles seront mises en œuvre. Tant que cette question de la gouvernance des politiques publiques n'est pas réglée, les risques de dégradation des finances publiques seront très élevés. La question de la gouvernance est complexe, parce qu'elle est d'essence politique.