Le bilan élaboré par la Sûreté nationale fait également état de 3 319 mineurs en danger moral et de 4 554 enfants victimes de violences physiques. Les statistiques à leur disposition sont dérisoires et constituent uniquement la face visible de l'iceberg. En revanche, il existe un chiffre noir. Ignoré des services sociaux et de la police, il suggère l'ampleur de la dérive juvénile. “Nous croisons quotidiennement dans nos rues des enfants errants et inhalant des tubes de colle”, note Mme Kheira Mesaoudène. Selon cette commissaire, officiant dans la section des mineurs de la direction de la Police judiciaire, il faut multiplier par dix ou vingt le nombre des jeunes délinquants, arrêtés par les éléments des forces de l'ordre. Qu'ils soient coupables de délits ou victimes de sévices, très souvent, les mineurs restent dans l'ombre, sous l'emprise d'adultes sans scrupules. Que faut-il faire alors pour les sauver ? Cette question aurait pu être l'intitulé du séminaire organisé par la direction de l'administration pénitentiaire, hier, au siège de l'Ecole supérieure de la magistrature. Modestes, les organisateurs lui ont préféré un thème plus conventionnel consacré au rôle des juges des mineurs dans la prise en charge des enfants en danger moral. S'arrêtant au constat, différents intervenants de départements ministériels comme la Justice, la Solidarité nationale, la Famille et la Condition féminine et des services de sécurité ont fait un point de la situation très alarmant, justifiant l'urgence d'une démarche salvatrice. Consciente de cette nécessité, Mme Mesaoudène a commencé son exposé par saluer l'opportunité de la rencontre. C'est la première fois, en effet, que le sort des mineurs à problèmes suscite un débat d'ensemble. Auparavant, chaque autorité travaillait en solo et souvent en contradiction avec les autres. Pour preuve, jusqu'à hier M. Djamel Ould Abbas ignorait le nombre d'enfants victimes de sévices sexuels. Il l'a appris de la bouche de Mme la commissaire. Ayant assisté à une grande partie des travaux du séminaire, le ministre de la Solidarité nationale et de l'Emploi a, comme l'ensemble de l'assistance, levé une partie du voile qui dissimule la détresse de milliers d'enfants. Le bilan 2004 de la Sûreté nationale ne compte pas moins de 3 319 mineurs en danger moral. Souvent fugueurs, ils retournent bon gré mal gré chez leurs parents. Ainsi, la police et les services sociaux ont réussi à réintégrer 2 306 d'entre eux dans leur foyer naturel. Des familles qui abandonnent Cependant dans bien des cas, les familles se montrent distantes à l'égard des jeunes égarés. Lors de son intervention, M. El-Hachemi Nouri, directeur des établissements spécialisés au ministère de la Solidarité nationale, a bien mis en évidence la démission des parents. D'après lui, cet abandon est conforté par la position des juges qui demandent à ce qu'un avocat soit commis d'office au prévenu mineur, mais n'ont cure de la présence de ses parents au procès. Même en tant que victime, l'enfant ou l'adolescent suscite rarement la compassion des siens. Surtout quand il est victime d'abus sexuels réputés tabous comme l'inceste. Pour preuve, 779 mineurs, placés par la police, séjournent actuellement dans les centres dépendant du département de M. Ould Abbas. 217 ont fait le mur avant d'y retourner de force. La promiscuité et les conditions d'hébergement quasi carcérales sont globalement à l'origine des fuites. M. Nouri le reconnaît volontiers. Il cite à titre d'exemple un centre d'El-Oued qui accueille jusqu'à 300 pensionnaires alors qu'il est d'une capacité réelle de 120 places. 40 centres spécialisés pour mineurs sont disséminés à travers le territoire national. Passant d'une tutelle ministérielle à l'autre, ils échouent à M. Ould Abbas en 2002. Les uns ont une mission de protection (CSP), les autres de rééducation (CSR). Il existe également des centres en milieu ouvert (CMO), accueillant 3 629 jeunes. Leur objectif consiste à faciliter la réinsertion des mineurs en leur garantissant un maximum de liberté. La sauvegarde de cette liberté est érigée en leitmotiv. Dans leur discours, les experts, y compris les juges des mineurs, l'ont largement défendu. Pourtant dans les faits, beaucoup de magistrats ont la main lourde. Ils traitent les prévenus mineurs comme les adultes. En témoigne le nombre de mandats de dépôt prononcés en 2004, ils sont 1 251 exactement. Certes, ces mises en détention préventive sont minimes par rapport aux 7 671 décisions de liberté provisoire. Cependant, mettre un adolescent en prison, même à titre provisoire risque de l'endurcir. Mme Mesaoudène parle de délinquants “réitérants”. Récidivistes ou primaires, ces jeunes grossissent chaque année les rangs des incarcérés. En 2003, la police nationale avait procédé à l'arrestation de 10856. Ils étaient 10 965 en 2004. À l'issue de leur jugement, certains, les garçons notamment, (ils sont actuellement 600) sont détenus dans les établissements dépendant du ministère de la Justice. D'autres (733) ont été placés dans les centres de rééducation. “Nous assistons à une évolution effarante de la délinquance”, avertit notre commissaire. Elle touche les mineurs de tous les âges. 3 586 ont entre 13 et 15 ans. 6 314 entre 16 et 18 ans. Si la criminalité juvénile prospère, ses formes se diversifient également. Dans l'ordre, 5 898 mineurs ont été arrêtés pour vol, 2 197 pour coups et blessures volontaires, 254 pour violation de propriétés privées, 384 pour actes de débauche et 211 pour détention de stupéfiants. Selon le représentant de la Solidarité nationale, la plupart des individus écroués ont commis leurs forfaits sous l'emprise de la drogue. Un officier de la gendarmerie a révélé l'arrestation de terroristes mineurs. C'est dire la gravité de la situation. La capitale est la plus affectée des villes du pays. 644 délinquants y ont été arrêtés. Elle compte aussi 764 enfants en danger moral. En matière de moralité, la persistance des tabous étouffe bien des scandales. De l'avis même de Mme Mesaoudène, les sévices sexuels sur mineurs révélés à la police sont une goutte dans l'océan. L'année dernière, 1 386 affaires de ce genre ont été traitées, dont 53 crimes d'inceste. Les services de la Sûreté nationale ont, par ailleurs, comptabilisé 2 603 plaintes pour coups et blessures volontaires, 412 pour mauvais traitements, 133 pour enlèvement et 20 homicides. La compétence des juges remise en cause span style="font-size: 10pt; font-family: " ar-sa?="" mso-bidi-language:="" fr;="" mso-fareast-language:="" mso-ansi-language:="" roman?;="" new="" ?times="" mso-fareast-font-family:="" times=""“Une fois, un juge d'une ville de l'intérieur du pays a voulu placer un mineur de 14 ans dans une pouponnière de Aïn Taya”. Cette confidence anecdotique est de M. El-Hachemi Nouri, directeur des établissements spécialisés au ministère de la solidarité nationale et de l'emploi. Au cours de son intervention, il s'est montré très critique à l'égard des juges des mineurs, allant jusqu'à remettre en cause la compétence de certains. Manque d'expérience et de spécialisation, bâclage des affaires, absence de suivi, recours abusif au mandat de dépôt ou au placement dans les centres de rééducation, négligence de la réinsertion des adolescents, tels sont les principaux griefs que le collaborateur de M. Ould Abbas retient contre les magistrats. Ceux-ci ont répliqué en dénonçant, notamment, la présence de vides juridiques les empêchant d'accomplir convenablement leur travail. à leur tour, ils rejettent la faute sur les juges instructeurs qui confondent entre mineurs et adultes, leur réservant un traitement identique et se retenant souvent de mener des enquêtes sociales sur les adolescents. Pourtant, en l'absence d'une prise en charge sociale et juridique efficiente, le délinquant d'aujourd'hui est appelé à devenir le criminel de demain. Cette effrayante éventualité est partagée par le garde des Sceaux lui-même. Dans son discours d'ouverture, M. Tayeb Bélaïz a plaidé pour une meilleure formation de juges des mineurs. Il a révélé à ce propos l'existence d'un accord avec l'Unicef pour la formation de magistrats spécialisés. Une session a été organisée au profit de 100 d'entre eux en 2004. 150 autres bénéficieront d'un stage identique cette année. S. L.