à se fier aux indicateurs des constructeurs, le montage en SKD revient plus cher et favorise la création de nouveaux emplois de l'autre côté de la Méditerranée. L'Algérie perd, un peu plus chaque année, un temps précieux pour lancer des projets viables et à forte valeur ajoutée dans l'industrie automobile. Pour la douzaine de projets lancés et/ou en cours de réalisation, la cacophonie aurait longtemps prévalu, que ce soit au plan de l'exigence de transférer les technologies ou encore dans les délais impartis par le cahier des charges et qui somme les opérateurs à atteindre un taux d'intégration appréciable, allant de 40 à 50%, d'une part, et, d'autre part, de produire des volumes supérieurs à 100 000 unités/an pour que les lignes de production soient amorties. Autant les ambitions du gouvernement sont démesurées, autant sa stratégie a été biaisée par une "politique du tout-montage". Dans une analyse publiée au mois de mai dernier, Bernard Jullien, maître de conférences à l'université de Bordeaux, a estimé que "les ambitions industrielles portées par le gouvernement (algérien ndlr) reposent d'abord sur le marché intérieur et sa capacité à le réserver aux constructeurs qui non seulement assemblent sur place, mais aussi privilégient les contenus locaux et offrent ainsi à une industrie équipementière encore bien chétive de réelles chances de développement". La messe est dite, l'industrie automobile en Algérie est orpheline d'un tissu de sous-traitants, d'équipementiers susceptibles d'accompagner une industrie naissante. Aujourd'hui, la question est de savoir que gagne l'Algérie dans cette filière qui nourrit des appétits et qui n'engrange pas aussitôt un retour sur investissement ? Sous-traiter ou acheter la technologie ? Le 29 juin 2015, l'ex-ministre de l'Energie et des Mines, Abdeslam Bouchouareb, a mis la pression via une note adressée aux concessionnaires automobiles pour leur rappeler la mesure prise dans le cadre de la loi de finances 2014. Celle-ci avait alors accordé un délai de 3 ans pour développer une activité industrielle ou semi-industrielle en Algérie, soulignant que "cet investissement doit être réalisé à compter du 1er janvier 2014. Pour les autres concessionnaires, l'investissement doit être réalisé dans un délai de trois ans à compter de la date d'octroi de l'agrément définitif (...) Le défaut d'entrée en production à l'expiration des délais suscités entraîne le retrait d'agrément". Et pour mettre fin au peu d'espoir que nourrissaient alors les concessionnaires, il précisera qu'"eu égard aux potentialités que recèle le domaine de la sous- traitance automobile devant contribuer au développement de l'intégration et de la remontée de la chaîne des valeurs de la filière automobile, je vous invite à examiner les possibilités de développer des activités autour de ce domaine". Après quoi, M. Bouchouareb a eu droit à un effet boomerang. En effet, devant l'inexistence d'un cahier des charges lié à l'activité de la sous-traitance, les concessionnaires se sont alors bousculés au portillon pour déposer leurs projets. Et c'est là que le gouvernement s'est fait piéger en imposant un taux d'intégration supérieur à 42% sur 5 ans pour chaque constructeur qui voudrait développer une usine de montage en Algérie. L'annonce faite, le rush des maisons mères suivra. En face, et à moins qu'il y ait un délit d'initié, des investisseurs dignes de ce nom avaient signifié un niet catégorique à certaines firmes d'engager un partenariat sans l'achat et le transfert des technologies. D'autant que l'Algérie était en position de force pour négocier des projets viables et à forte valeur ajoutée. Profitant de cette conjoncture économique difficile, des opérateurs ont voulu exercer un forcing pour passer au tout-montage. Sachant que le gouvernement a drastiquement réduit les dépenses en devises, la question était alors de savoir à quel prix devait se faire le montage automobile en Algérie ? À combien revient un véhicule ? Après M. Bouchouareb, le second ton, plus menaçant, viendra de son Premier ministre, Abdelmalek Sellal (limogé en mai dernier). Lors de son déplacement à Tiaret au mois d'août 2016, M. Sellal a invité les opérateurs à investir dans la pièce de rechange. Une situation kafkaïenne qui a donné lieu, quelques mois plus tard, à des scandales liés aux opérateurs qui n'étaient même pas au stade du SKD (Semi Knocked Down). Mais, en février dernier, le président de l'entreprise spécialisée dans l'industrie automobile cluster mécanique, Adel Bensaci, a lâché un pavé dans la mare lors de son passage au Forum d'El-Moudjahid, affirmant que "le montage automobile SKD n'est pas viable si on n'arrive pas progressivement à un taux d'intégration nationale de 40%. Car au-dessous de ce taux, il est plus rentable d'importer des véhicules que de les monter en Algérie". L'orateur avouera que "les véhicules montés actuellement en Algérie coûtent plus cher que les mêmes produits importés". Qu'en est-il exactement ? Le constat est là : le montage de véhicules suppose, selon les termes de l'investissement en Algérie, l'exonération de la TVA (taxe sur la valeur ajoutée), des droits de douane et d'autres avantages fiscaux et parafiscaux pour démarrer l'activité, y compris la TVN (taxe sur le véhicule neuf). À se fier aux indicateurs des constructeurs, le montage en SKD revient plus cher et favorise la création de nouveaux emplois de l'autre côté de la Méditerranée. Selon la pratique courante, le véhicule destiné à être monté en Algérie devra passer par trois étapes. Il est d'abord produit à la maison mère, acheminé vers des unités de démontage et emballé. Ce qui suggère une logistique et un coût avoisinant 1 500 et 3 000 dollars US (selon les modèles de voitures). Ensuite, il sera acheminé vers l'Algérie, avant qu'une logistique spécifique ne le prenne en charge pour un nouveau montage. Ce processus suggère des coûts supplémentaires qui retombent sur le client final. Engagé, l'Etat fait subir des surcoûts au Trésor. L'autre gabegie réside dans la pièce de rechange, dont 99% des besoins sont importés pour une valeur de 5 milliards de dollars US, alors que les sous-traitants nationaux en bavent pour lancer leur PME-PMI. Le statu quo s'installe dans la durée L'ère de Sellal passée, son successeur Abdelmadjid Tebboune annonce un cahier des charges plus contraignant. Pour sa première phase, il exige l'engagement financier de la maison mère à investir avec son partenaire algérien et d'exporter une partie de la production ! Son ministre du Commerce, Ahmed Abdelhafidh Saci, apporte un démenti formel avouant que le milliard de dollars d'importations n'était pas des "importations déguisées" alors que son homologue de l'Industrie, Beda Mahdjoub, était formel en affirmant devant les médias que "les importations déguisées, c'est fini !" La suppression des licences d'importation des véhicules neufs pour l'année 2017 annoncée, l'actuel ministre du Commerce, Mohamed Benmeradi, met fin au suspense : "L'Etat a pris l'engagement d'encourager les producteurs nationaux auxquels nous demanderons de commercialiser leurs véhicules, via le réseau des concessionnaires." M. Benmeradi a révélé qu'en 2016, 100 000 véhicules sont sortis des usines de montage implantées en Algérie qui a importé plus d'un milliard de dollars US en 2017, dont 540 millions de dollars pour le véhicule de tourisme pour les besoins des kits de montage et le reste pour la pièce de rechange et les accessoires automobiles. FARID BELGACEM