Pour nombre d'Algériens, les élections locales, tout comme les législatives, sont assimilées à une course aux privilèges. Panneaux encore affreusement vides dans nombre d'endroits, une population qui affiche une sidérante indifférence et sarcasmes des internautes à l'égard de certaines affiches de candidats sur les réseaux sociaux : une semaine depuis son lancement officiel, la campagne électorale pour le scrutin du 23 novembre peine à s'emballer. Alors que tous les acteurs des formations politiques se sont lancés dans la bataille, force est d'admettre que le spectre d'une désaffection plane plus que jamais sur les prochaines élections au regard du faible engouement affiché par la population. De l'avis unanime, ce début de campagne est qualifié de "timide", pour ne pas dire morose, comme l'admet le président de la Haute instance indépendante de surveillance des élections (Hiise), Abdelwahab Derbal. S'il est prématuré d'anticiper sur la réaction des électeurs à mesure qu'approche l'échéance électorale, il reste que la suite de la campagne pour les candidats et les leaders des formations politiques s'annonce laborieuse. Et un remake d'un scénario, similaire à celui des législatives, n'est pas à exclure tant l'ambiance générale durant cette première semaine donne à penser que l'Algérie ne s'apprête pas à vivre un rendez-vous électoral. Comme pour anticiper sur une éventuelle faible participation des électeurs, le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, a mis la balle dans le camp des partis politiques même s'il soutient que la participation aux locales sera plus importante qu'aux législatives au regard de la nature du scrutin dans lequel "l'esprit du village et de la tribu" continue à jouer un rôle. "La participation sera plus importante lors des locales car elles ont un lien direct avec le citoyen, sans compter que l'esprit du village, de la tribu joue aussi. S'il y a abstention, ce sera la faute aux partis dont le mien", a-t-il dit. Réplique immédiate du MSP : "L'abstention ne sera pas un problème pour notre parti. Nous, nous avons des militants qui voteront pour nos candidats. En cas de forte abstention, c'est l'administration qui organise les élections qui sera montrée du doigt et non pas les partis. L'abstention est intimement liée à la transparence des élections", a soutenu Abdelmadjid Menasra lors d'une conférence de presse. Absence d'arguments Mais qu'est-ce qui peut bien expliquer cette attitude de réfraction des électeurs ? Il y a d'abord la crise de confiance. Conséquence du discrédit de l'exercice politique que le pouvoir s'est employé à développer durant plusieurs années pour stigmatiser l'opposition, conjugué à la crise morale qui frappe le pays, le développement du parasitisme et la corruption, l'entreprise de dépolitisation, l'irruption de l'argent sale dans l'achat des voix, le fonctionnement archaïque des partis, le nomadisme politique, les promesses jamais tenues, le recyclage du personnel, la confection, souvent pas très catholique des listes, et les fraudes électorales successives ont fini par achever tout espoir d'un éventuel changement de mode de gouvernance, encore plus une hypothétique amélioration de la situation des citoyens. Pour nombre d'Algériens, les élections locales, tout comme pour les législatives, sont assimilées à une course aux privilèges. "L'élu dépense 10 millions pour acheter son siège, mais il se fixe aussi de récupérer 20 milliards à la fin de son mandat (...)", résume Moussa Touati. Ensuite, il y a le contexte politico-économique. Si du temps de l'aisance financière, le pouvoir n'a pas pu mobiliser les électeurs, il est pour le moins difficile de susciter un engouement en ce temps des "vaches maigres", surtout que le scrutin intervient après des sorties d'Ahmed Ouyahia au cours desquelles il dépeignait un pays au bord de l'asphyxie financière. Aussi, nombre de figures politiques jouent un effet repoussoir tant elles passent, aux yeux de beaucoup, comme les artisans de la crise. Enfin, il y a la panne d'arguments pour convaincre. Face à cette situation et alors que d'ordinaire, les partis multiplient les promesses, cette fois-ci, par pragmatisme ou en raison de l'austérité, ils focalisent sur des questions générales qui dépassent le cadre local, insistant sur les moyens de développer les collectivités locales. C'est ainsi que le RND insiste sur les "bienfaits de la décentralisation", "la démocratie participative" et "la rationalité dans la gestion des ressources de l'Etat", tandis qu'Abdelaziz Belaïd, du Front El-Moustakbal critique le pouvoir "d'avoir échoué dans la gestion du secteur de l'agriculture". Quant à Amar Ghoul du TAJ, il soutient que "le développement local n'est pas seulement une question de programme mais c'est aussi une affaire d'hommes et de gestionnaires". "Il faut qu'il y ait une justice sociale et une justice en matière de développement au niveau de toutes les communes du pays". Au sein de l'opposition, l'aspect politique de la crise semble primer sur les traditionnelles promesses électorales. Le MSP fustige l'administration qu'il accuse de privilégier les partis du pouvoir, le FLN et le RND. "Les walis ont oublié leurs missions et se sont exprimés sur les listes des candidatures alors que des chefs de daïra se sont comportés comme des responsables de kasma (FLN)", critique Menasra. Le FFS, lui, plaide pour la construction d'un consensus, en critiquant la loi de finances qualifiée "d'antisociale" et "d'antinationale". Quant au RCD qui privilégie l'action de proximité dans sa campagne, il évoque la moralisation de la vie publique et dénonce "l'emprise" sur la Banque d'Algérie alors que Louisa Hanoune du PT entend s'opposer aux "arrivistes". Signe de panique et "Papa Noël" C'est parce que le doute s'est confortablement installé au sein des états-majors des partis, au regard de la "moisson" de la première semaine que d'ores et déjà des partis du pouvoir tentent de trouver en l'opposition le parfait bouc émissaire, une entreprise qui s'apparente à de la diversion et qui trahit quelques signes de panique à mesure qu'approche l'échéance électorale. Surtout que pour eux et pour les partis qui gravitent à leur périphérie, le prochain scrutin est perçu comme une espèce de répétition générale en perspective de la présidentielle de 2019. "C'est la période de Papa Noël. Les promesses et les cadeaux. Au RND, nous n'avons pas la culture des cadeaux et encore moins, celle des promesses. Lorsque je tire 10 000 dinars de ma poche pour les donner à mon frère, je peux parler de cadeau. Si j'ai géré avec justesse et rationalité l'argent de l'Etat et du peuple, cela s'appelle faire son devoir ou une partie du devoir", a déclaré à El-Tarf Ahmed Ouyahia, accusant l'opposition de faire des promesses extravagantes. "Si le désir nous vient d'entrer dans ce jeu des promesses, le marché est plein. Nous ne faisons pas de promesses. Nos élus auront des programmes de communes à mettre en pratique", promet-il. À Constantine, il dénonce les "professionnels de la politique" et à Skikda, il soutient que les opposants "veulent le pouvoir et ce n'est pas l'Algérie qui les intéresse". "Ils voulaient que la situation sociale se détériore, et peut-être quelques troubles. Mais l'Algérie a un Président. L'Algérie a besoin de réformes, d'urbanisation", estime-t-il. Amara Benyounès décoche ses flèches contre ceux qui dénoncent la fraude anticipée. "Ceux qui parlent de ‘fraude électorale' cherchent ‘à cacher leur échec'". "Comment expliquer que l'évocation de la fraude vient toujours de partis qui participent à chaque fois aux élections ?" a-t-il déclaré à Guelma. Et de là à les voir accuser l'opposition "d'empêcher les gens" de se rendre aux urnes, d'ici à la fin de la campagne, il n'y a qu'un pas... Mais assurément, les deux prochaines semaines s'annoncent laborieuses ! Karim Kebir