Dans une opération anticorruption qualifiée de "décisive", les autorités saoudiennes ont annoncé, samedi soir, l'arrestation de 11 princes, de ministres et d'hommes d'affaires. Cette purge soulève moult interrogations liées à la modification de l'ordre de succession. Sitôt mise en place, la nouvelle commission anticorruption présidée par Mohammed ben Salmane, le prince héritier, conformément à un décret royal, onze princes, dont le célèbre milliardaire Al-Walid ben Talal, des ministres et des hommes d'affaires ont été arrêtés samedi soir en Arabie saoudite. Parallèlement, Metab ben Abdallah, chef de la puissante Garde nationale saoudienne, un temps considéré comme prétendant au trône, ainsi que le chef de la Marine Abdallah Al-Sultan et le ministre de l'Economie Adel Fakih ont été limogés dans le cadre de cette même opération. Selon la chaîne d'information satellitaire Al-Arabiya, à capitaux saoudiens, 11 princes, quatre ministres et des dizaines d'anciens ministres ont été arrêtés, alors que la commission anticorruption a lancé une enquête sur les inondations meurtrières ayant dévasté en 2009 la ville de Jeddah, sur la mer Rouge, à la suite de pluies torrentielles. De son côté, l'agence de presse officielle saoudienne SPA a indiqué que l'objectif de la commission était de "préserver l'argent public, punir les personnes corrompues et ceux qui profitent de leur position". Il faut croire que cette purge sans précédent dans le pays ouvre la porte à toutes les interprétations. La première est que le jeune prince héritier, qui est à la tête de cette commission anticorruption, renforce son emprise sur le pouvoir avant même qu'il n'accède à la tête du royaume. À travers ces arrestations et ces limogeages, Mohammed ben Salmane veut peut-être éliminer tout ce qui pourrait résister aux changements économiques et sociaux inédits qu'il opère dans un royaume ultraconservateur. Il y a lieu de relever que ce ne sont pas ces changements seulement qui peuvent être à l'origine de résistance ou de contestation à la politique du prince héritier, mais aussi la modification de l'ordre de succession. Cette décision du roi Salmane de placer son jeune fils comme son héritier direct semble avoir fait des frustrés et des déçus au sein du nombre impressionnant d'émirs à même de prétendre au trône. Il n'est pas exclu que l'objectif de cette purge soit d'étouffer toute velléité de contestation au sein de la fratrie d'émirs. Mohammed ben Salmane chercherait donc à étouffer les contestations internes avant le transfert formel du pouvoir par son père, dont l'abdication serait proche en raison de son état de santé très délicat. Par ailleurs, le côté réformiste du prince héritier, qui a lancé plusieurs chantiers de réformes qui marquent le plus grand bouleversement culturel et économique de l'histoire moderne du royaume, dérange certainement les conservateurs. Ces derniers, certainement opposés, peuvent déclencher une opposition à cette vision, qui a connu un début de concrétisation avec le droit accordé aux femmes, en septembre, de conduire une voiture. Et cet assouplissement n'aurait pas été possible sans l'arrestation, en septembre, de dizaine de religieux et d'intellectuels, estiment les analystes de la scène saoudienne. Pour ces diverses raisons, la prise de pouvoir par Mohamed ben Salmane ne se fera pas sans dommages collatéraux. Merzak Tigrine