"C'est la sorte de livre qui précède les révolutions, engendre les révolutions, si toutefois la parole possède quelque pouvoir", a dit Jean Sénac à propos de L'incendie, premier roman de la trilogie Algérie de Mohammed Dib. "Prémonitoire", l'œuvre de ce poète et romancier à l'humanisme déchaîné, façonnera la vision du monde en ce milieu du XXe siècle, des conditions et de l'obscurité dans lesquelles fut plongé le peuple algérien sous le joug colonial, comme le dira l'écrivain et poète Abdelmadjid Kaouah dans ce livre. Pour rendre hommage à ce fondateur, avec Mouloud Mammeri et Mouloud Feraoun, "d'une littérature imbriquée dans un combat historique anticolonial", une pléthore d'écrivains, poètes, universitaires, ainsi que la fille du romancier, joignent leurs plumes respectives, sous la direction de Yahia Belaskri, afin de faire revivre l'œuvre et décrypter le message du poète. Sur les 152 pages de cet ouvrage collectif intitulé "Mohammed Dib, un écrivain de lumière", paru aux éditions Sédia, sa fille Assia Dib-Chambon, Abdelkader Djemaï, Anouar Benmalek, Anne Mulpas, Nathalie Philippe, Hubert Haddad, Soumya Ammar-Khodja, ou encore Amin Khan, racontent "leur Dib", un homme qu'ils ont côtoyé pour certains, ou simplement admiré pour d'autres. Des témoignages qui font d'abord ressortir le côté humain et protecteur de l'écrivain, et le mécanisme et l'impact de son écriture sur la littérature universelle en général, et maghrébine en particulier. Avant de nous plonger dans son imaginaire littéraire et sa poésie transcendante, c'est d'abord le portrait de Mohammed Dib, le père, qui nous est brossé à travers le témoignage de sa fille, Assia Dib-Chambon, qui avoue, de prime abord, que la lecture des œuvres de son paternel n'était pas naturelle pour elle, car il lui a fallu, dans un premier temps, "aller vers son écriture, et dépasser une première appréhension", dit-elle dans la partie "Les lieux de l'enfance". Un blocage, ou plutôt une pudeur, provenant d'une difficulté de s'introduire dans l'intimité de son père. L'historien d'art, poète et romancier Hubert Haddad, insiste, dans son intervention intitulée "Devant la maison de lumière", qu'il était "un avant-gardiste", s'agissant de la représentation de la paysannerie, notamment les fellahs spoliés de leurs terres, dans la naissante littérature algérienne d'avant-guerre. Ainsi dit-il de Dib qu'il a opéré "un renversement des rôles, et conséquemment des valeurs", véhiculés antérieurement par "la littérature algérianiste et l'école d'Alger". Cette dernière attribuait, certes, "une nature humaine" aux "autochtones" sans pour autant "leur accorder plus de droits que les tenants de l'algérianisme d'avant-guerre". Pour sa part, l'écrivain Anouar Benmalek, nous offre, dans la partie intitulée "La peine et le regret", des parcelles d'intimité entre lui et le grand poète, à travers des lettres que les deux hommes s'échangeaient. Apparaît alors le côté protecteur de Dib, qui encourage et conseille son cadet, en l'incitant à poursuivre son approche audacieuse de l'écriture. Mais malgré cette proximité apparente, l'auteur de Le rapt explique longuement le regret qu'il a eu de n'avoir jamais rencontré Dib de son vivant. Quelques pages plus loin, c'est Guy Dugas, professeur à l'université de Montpellier et spécialiste des littératures arabes et maghrébines, qui rappelle la relation particulière qu'entretenait Dib avec Louis Aragon, qu'il a connu dans le milieu des écrivains de la résistance, grâce à leurs points communs quant à la défense des libertés des peuples et la dénonciation de l'emprise coloniale. Des passages des correspondances entre les deux hommes sont repris dans ce livre, où Dib sollicite le poète français pour la préface du recueil Ombre gardienne. Plus qu'un romancier, cet ouvrage nous permet de découvrir l'homme avant tout, avec ses appréhensions, ses déchirements, et ses aspirations, qu'il tentera de canaliser à travers l'écriture, seule arme des persécutés. Yasmine Azzouz Ouvrage collectif, Mohammed Dib, un écrivain de lumière, éditions Sédia, 152 p. 700 DA. 2017.