Le déballage du ministre aurait gagné en crédibilité s'il avait été étendu à tous les journaux publics, parapublics et privés. Certains continuent à être bien arrosés par la publicité publique et institutionnelle dont l'Anep détient le monopole. Répondant à la directrice du quotidien El Fadjr, Hadda Hazem, qui observait une grève de la faim en signe de protestation contre la suspension de la publicité institutionnelle et publique pour son journal, le ministre de la Communication, Djamel Kaouane, qui intervenait en marge de l'inauguration de la nouvelle agence de l'Anep à Ouled Fayet, à Alger, n'a pas hésité à utiliser les parts de publicité dont avait bénéficié ce même journal comme arme de défense. Allant dans le détail, Djamel Kaouane a révélé qu'"en huit ans, le journal El Fadjr a reçu 76 milliards de centimes", et que rien que cette année, "il a reçu quatre milliards de centimes". Voulant enfoncer davantage le clou, le ministre ajoute que "la dette d'El Fadjr s'élève à près de dix milliards de centimes" et que le journal ne paye pas son loyer à la Maison de la presse. Mais le ministre ne s'arrêtera pas là puisqu'il ira jusqu'à insinuer un détournement en assénant : "Nous savons où est parti l'argent de l'Anep, et nous le disons en toute transparence, mais où part l'argent de ce journal ?" À travers ces déclarations, il visait officiellement à éclairer l'opinion publique et officieusement à révéler ce qui s'apparente à "un pot aux roses". Ces montants lâchés en brut peuvent, dans l'absolu, paraître faramineux, mais, en réalité, leur importance ne peut être déterminée que s'ils sont comparés aux montants dont ont bénéficié, et continuent de bénéficier, d'autres titres de la presse nationaxle. En ce sens, le déballage du ministre aurait gagné en crédibilité s'il avait été étendu à tous les journaux publics, parapublics et privés qui continuent à être bien arrosés par la publicité publique et institutionnelle dont l'Anep détient le monopole. La présentation d'une situation global aurait, sans doute, aidé tout un chacun à se faire sa propre idée sur la distribution de cette manne, qu'est la publicité. Certains pourraient considérer que la circonstance dans laquelle intervenait le ministre ne s'y prêtait pas, alors qu'en réalité, elle constituait une aubaine pour, non seulement apporter une meilleure réponse à Hadda Hazem, qui a accusé clairement les autorités de vouloir étouffer certains titres de la presse privée dont les lignes éditoriales sont jugées critiques, mais aussi pour démontrer, chiffres à l'appui, que le chantage par la publicité et l'orientation politique de celle-ci n'est qu'affabulation. Mais les plus avisés savent pertinemment que le ministre ne pourrait se livrer à un tel jeu franc qui risque de dissiper l'épais brouillard qui entoure la gestion de ce secteur qui, au demeurant, ne répond à aucune norme économique, mais plutôt à des considérations purement politiques. En effet, le ministre risquerait, dans ce cas de figure, de se voir contraint d'évoquer ce qu'on appelle communément "la presse maison", sinon citer des titres de presse complaisants, qui tirent à moins de 2 000 exemplaires et qui continuent à bénéficier de la publicité de l'Anep. Il risquerait aussi d'être amené à expliquer que des titres, et non des moindres, tels El Watan et Liberté, sont exclus de la publicité de l'Anep depuis 12 ans pour le premier et depuis l'affaire de Panama Papers pour le second. Une exclusion qui est d'autant plus injustifiée que ces deux titres figurent parmi ceux qui répondaient le mieux aux critères de prise en charge de leurs journalistes, sur le plan social et de formation, que le prédécesseur de Kaouane, Hamid Grine, posait, pourtant, comme seules conditions d'accès à la publicité de l'Anep. Les propos qui confirment l'intention du pouvoir politique de continuer encore à user et abuser du marché de la publicité publique pour maintenir la pression sur la presse "récalcitrante" sont, pour rappel, sortis de la bouche même du ministre de la Communication actuel, Djamel Kaouane, qui a déclaré le 21 octobre dernier, à Tizi Ouzou, que "le projet de loi sur la publicité, qui a été, à maintes reprises, au menu des précédents gouvernements, n'est plus à l'ordre du jour au sein du gouvernement actuel". Evoquer donc les seuls montants dont a bénéficié le journal de Hadda Hazem n'est qu'un coup d'épée dans l'eau. Samir LESLOUS