Les tractations de ces jours-ci rappellent étrangement les séquences qui ont précédé la chute brutale du gouvernement Tebboune. Le gouvernement Ouyahia, formé au pied levé pour pallier le départ inattendu de l'équipe Tebboune, renvoyée avec fracas trois mois à peine après son installation, ne finit pas l'année 2017 dans la sérénité. Fin décembre, le Premier ministre se voit contester, coup sur coup, deux initiatives sur lesquelles il a lourdement investi : le partenariat public-privé (PPP), un pacte signé entre les traditionnels partenaires de la tripartite, et l'assainissement-sélection du dossier de l'automobile à multiples rebondissements. Deux coups de semonce qui ont dû, assurément, faire comprendre à Ouyahia qu'il reste loin d'avoir les coudées franches, que son rappel à la grande intendance ne signifie pas une totale liberté d'initiative, quand bien même le plan d'action de son gouvernement aurait reçu l'onction de la majorité parlementaire dans laquelle le parti du Front de libération nationale (FLN) est premier de cordée. C'est d'ailleurs ce dernier qui s'est montré franchement hostile au PPP qu'il perçoit, à raison, peut-être, comme une ouverture de voie vers la grande — la vraie — privatisation des entreprises publiques économiques (EPE). Le secrétaire général du FLN, Djamel Ould Abbes, ne se lasse pas, depuis la récente tripartite de la maison Abdelhak-Benhamouda, siège de la Centrale syndicale, de rappeler que son parti est foncièrement opposé aux privatisations, se rendant à chaque fois, bien sûr, à des précautions discursives pour ne pas apparaître dans une opposition frontale à Ouyahia. Mais personne n'est dupe au point de ne pas comprendre comme telle la démarche d'Ould Abbes qui n'est pas resté sur le seul commentaire politique mais y a adjoint les actes. Le secrétaire général du FLN, qui n'a jamais éprouvé de tendresse à l'égard d'Ouyahia, est allé même jusqu'à commettre une terrible irrévérence politique à l'encontre du Premier ministre en décidant de refaire la tripartite sur le PPP, conviant à un conclave qui se tient aujourd'hui au siège du FLN, le secrétaire général de l'UGTA, Abdelmadjid Sidi-Saïd, le président du FCE, Ali Haddad, et le patron de la CAP, Boualem M'rakach, en somme, ceux-là mêmes qui ont cosigné avec Ouyahia le PPP. Il va sans dire que cette "concertation" à laquelle convie le S.G. du FLN n'a pas pour finalité d'exprimer un appui au gouvernement Ouyahia. Ould Abbes a suffisamment dit pour comprendre que la réunion entend formaliser des remarques qui vaudront mise en garde. Nul doute. Seulement, il reste à déterminer ce qui motive et mobilise les Sidi-Saïd, Haddad et M'rakach autour d'Ould Abbes, alors que leur engagement avec Ouyahia est de très fraîche date. Les tractations de ces jours-ci rappellent étrangement les séquences qui ont précédé la chute brutale du gouvernement Tebboune. Ce sont, à peu près, les mêmes acteurs, qui ont forcé le destin de Tebboune, qui se remettent au travail pour affaiblir Ouyahia, voire précipiter son renvoi. Une disgrâce qui semble le guetter sérieusement après qu'il a été contraint de geler, la mort dans l'âme, sûrement, sa décision relative à la limitation à seulement dix le nombre d'opérateurs autorisé à faire dans le montage automobile. Un camouflet annonciateur d'infortune C'est d'ailleurs d'autant plus sûr que sa décision a été annulée quasi illico, sans qu'il ait à réagir, accusant le coup dans un silence troublant. Ce genre de camouflet est généralement annonciateur d'infortune. Les forces qui ont agi pour rendre caduque la décision du Premier ministre sont incontestablement puissantes. Si puissantes qu'elles arrivent à infléchir des résolutions gouvernementales qui semblaient pourtant hors de contestation. Si fortes qu'elles peuvent défaire un gouvernement, si l'on admet que ce sont les mêmes forces (de l'argent) qui ont signé l'acte de mort du gouvernement Tebboune. Mais, alors, comment se fait-il qu'un Premier ministre qui, en apparence, a la confiance du chef de l'Etat, se voit bousculé jusque dans son pré-carré sans pouvoir réagir ? Ce qui est arrivé à Tebboune et qui risque d'arriver également à Ouyahia, même si c'est pour des motifs distincts, pose la question : qui gouverne réellement ? Nombre d'observateurs politique demeurent convaincus que cette absence criante de cohésion parmi le personnel politique au pouvoir dénote des confrontations en sourdine de plusieurs forces agissantes dans le sérail. Des confrontations pour la configuration des équilibres futurs, notamment dans la perspective de l'élection présidentielle du printemps 2019. Au fait, tout se noue et se dénoue autour de la question centrale : la succession à Bouteflika. C'est cet enjeu qui susciterait toutes les manœuvres que la scène donne à observer. Et la plus grosse manœuvre, comprendre celle qui est plus ou moins avouée publiquement, reste celle menée par le FLN. Le parti veut un 5e mandat pour Bouteflika. Il le dit, aujourd'hui, par la bouche du député, membre du comité central, l'homme d'affaires Baha Eddine Tliba, qui a trahi un secret jusqu'ici bien gardé : le comité central du FLN votera une motion de soutien au 5e mandat lors de sa session de mars, a-t-il confié à la presse. C'est, donc, ce à quoi travaille Ould Abbes. On comprend, dès lors, pourquoi il ne rate aucune occasion de s'attaquer à Ouyahia qui peut lui apparaître comme un élément gênant qu'il faut, donc, affaiblir coûte que coûte. Car, un large consensus autour d'un autre mandat pour Bouteflika n'étant pas évident, Ould Abbes semble s'être donné comme mission de se prémunir du mieux possible contre tout projet pouvant contrarier le maintien du chef de l'Etat sortant dans ses fonctions. C'est pour cela, aussi, qu'il veut agir vite et mettre tout le monde devant le fait accompli. C'est la façon qu'il s'est imaginée pour saborder les scénarios qui s'écriraient et s'affineraient dans l'ombre. L'affaiblissement d'un Ahmed Ouyahia, préféré à l'encadrement du FLN, pour assurer l'intendance du gouvernement, après le départ de Tebboune, procurerait plus d'aisance à asseoir les équilibres favorables à une prolongation de la gouvernance de Bouteflika. Une présidence qui sera, quoique puissent arguer les thuriféraires, mal perçue, vu l'état de santé de Bouteflika, son âge avancé, surtout que dans le pourtour immédiat, la tendance est au rajeunissement des personnels politiques. Un 5e mandat restera problématique, même si le choc psychologique est absorbé avec le 4e. Sofiane Aït Iflis