Le collectif Nabni : Le montant des subventions en Algérie est non seulement important mais sa structure est dominée par les subventions implicites (60%), essentiellement des subventions à l'énergie... Ce modèle est-il soutenable ? Quelles en sont les conséquences sur l'économie nationale ? Mabrouk Aib : En effet, les subventions aux ménages, explicites (logement, alimentaires et énergie) et implicites (essentiellement le carburant), ont atteint 13,6% du PIB en 2015. Dans un contexte de baisse des ressources budgétaires liée comme chacun le sait à la baisse de la fiscalité pétrolière, la rationalisation des dépenses publiques est devenue critique. L'inconvénient des subventions actuelles, outre leur poids démesuré dans le budget de l'Etat, est leur inefficacité et les distorsions qu'elles engendrent. En premier lieu, les subventions actuelles sont généralisées. C'est-à-dire qu'elle qu'elles ne profitent pas spécifiquement aux ménages les plus défavorisés. Alors que dans le cas de biens dits "normaux" (comme le pain, le lait, l'huile, etc.), la consommation ne suit pas la progression du revenu ; pour ce qui est des subventions au carburant, il n'en est pas de même. Ainsi, ces subventions sont largement captées par la frange de la population la plus aisée, qui consomme nettement plus de carburant. C'est aussi le cas pour le gaz de ville auquel la moitié des foyers algériens n'ont pas accès. Par ailleurs, les subventions créent des distorsions de prix qui affectent les comportements de consommation à la fois des ménages, mais également des entreprises. En rétablissant une certaine vérité des prix sur les produits subventionnés, on met les consommateurs en face des vrais coûts d'opportunité de nos ressources. Les choix opérés sur la consommation de nos ressources sont alors plus rationnels. Outre ces aspects, il ne faut pas oublier le coût indirect de ces subventions pour la collectivité : certaines de ces subventions ont un impact sur la santé publique. Pourquoi continuer à pousser indirectement à une surconsommation qui est nuisible pour la santé ? J'en profite pour signaler une curiosité : le prix du gasoil progresse moins rapidement que celui de l'essence (depuis 2016, le prix du gasoil a augmenté de 68,3% contre 84,2% pour le super sans plomb). Il aurait été plus judicieux de profiter de la dynamique d'augmentation des prix pour, au contraire, réduire l'écart déjà très substantiel entre le gasoil et l'essence. Rappelons que le différentiel de prix entre le gasoil et l'essence a conduit à une forte diésélisation du parc automobile algérien et la conséquence est l'importation massive de gasoil pour satisfaire la demande nationale. La fin des subventions est une problématique complexe. Quels sont les facteurs explicatifs de la réussite, ou de l'échec, de telles politiques ? Outre la faisabilité opérationnelle de toute nouvelle approche, surtout si elle nécessite de disposer d'informations pertinentes sur les conditions de vie des citoyens ou d'avoir une administration efficace, la faisabilité politique est également à considérer. Les Algériens ont été habitués à des prix bas pour un certain nombre de biens. Une augmentation brutale de ces prix pourrait être mal perçue par la population. Il ne s'agit donc pas de mettre fin purement et simplement aux subventions. Il est également nécessaire de tenir compte de l'impact différencié qu'une politique peut avoir sur les différentes catégories sociales. Par exemple, une simple réduction du montant des subventions pour les produits alimentaires de base aura inévitablement un impact plus important sur les ménages les moins aisés. Une hausse des prix de l'énergie aura un impact direct plus important sur les ménages les plus aisés et sur la classe moyenne également. Si cette hausse touche aussi les entreprises, comme celles du secteur du transport, elle aura un impact indirect via les ménages les plus défavorisés à travers une hausse de l'inflation. Une levée progressive des subventions doit s'accompagner de compensations des classes les plus défavorisées. Quelles sont les options qui s'offrent à l'Algérie ? L'option idéale en théorie serait de verser une allocation directement et uniquement aux ménages nécessiteux, qui auraient été identifiés et répertoriés. En réalité, il est très difficile, même dans des pays très avancés possédant des systèmes d'information autrement plus fiables et sophistiqués que les nôtres, d'arriver à cibler correctement les populations concernées, qui, par nature, sont souvent en dehors des "radars". Il existe donc deux autres options, plus imparfaites en théorie, mais beaucoup plus efficaces dans la réalité : la distribution d'un revenu universel ou alors le ciblage des ménages nécessiteux sur base déclarative. Dans le premier cas, le transfert monétaire non conditionnel a l'avantage de ne pas nécessiter de disposer d'une information sur les conditions de vie des citoyens. En effet, un revenu identique pour tous les citoyens est versé chaque mois. Dans le second cas, une allocation est distribuée à tous les citoyens (ou ménages) qui déclarent avoir un revenu inférieur au seuil prédéfini par le gouvernement. Dans ces 2 cas, nous réduisons fortement le risque de ne pas couvrir les nécessiteux, mais le prix à payer est une distribution de ressources monétaires à des citoyens qui ne sont pas dans le besoin (ce qui est tout à fait assumé dans le premier cas, à savoir le revenu universel) (*) Mabrouk Aib est enseignant universitaire (Ecole nationale polytechnique) et responsable régional pour une grande compagnie internationale. Dans le passé, il a été directeur de la planification stratégique du groupe Sonatrach ainsi que directeur central de la stratégie et la prospective au sein du ministère de l'Energie et des Mines.