C'est une population de plus de 1 000 habitants qui vit en marge du temps, loin de ce qu'on appelle la civilisation. À 80 kilomètres au sud du chef-lieu de la wilaya de Khenchela, se trouve la petite localité de Chemla, commune de Khirane. Au lieudit Ich Alhar, une population de plus de 1 000 habitants vit en marge du temps, loin de ce qu'on appelle la civilisation ou du moins les moyens les plus rudimentaires pour une vie des plus modestes. À peine à 30 minutes de la commune de Khirane, Chemla est omise, oubliée et ne bénéficie de rien, et pourtant les citoyens nous racontent, et avec fierté, les hauts faits d'armes qu'a connus toute cette région Aurès Nememtcha, durant la guerre de libération. Des stigmates et traces sont toujours visibles. Les plus édifiants sont les quelques moteurs d'avions de chasse de l'armée coloniale abattus, durant la guerre de libération, quand Chemla était un refuge pour les moudjahidine et un haut lieu de résistance nous dit un ancien maquisard, qui ajoute que les citoyens ont repris les armes pour défendre leur village et tout le pays durant la décennie noire, contre l'hydre intégriste, mais nous voilà abandonnés à notre sort, conclut-il presqu'en pleurant. Même pas un pont La dechra, car c'est le cas, le mot agglomération peut être trompeur, voire pompeux et pédant vu la situation chaotique que vit toute une population, ô combien heureuse de nous voir leur rendre visite en tant que journalistes d'un organe de presse, une occasion inespérée pour nous dire leur misère. Avec les citoyens qui sont venus à notre rencontre autour d'un café, offert par un habitant bénévole en sandale de caoutchouc, par cette matinée de février où la température est négative à 9h du matin. Pas loin, une tuyauterie en fonte renforcée par les citoyens et des bénévoles reste le seul pont et moyen pour traverser l'oued pour les habitants et surtout les écoliers qui habitent de l'autre côté de la dechra. Quand ils vont à l'école et rentrent le soir chez eux au moment des crues, ce qui arrive souvent avec des averses ou la fonte des neiges des hauteurs qui entourent Chemla. Il faut le voir pour le croire nous dit un vendeur ambulant, le seul qui se risque dans les environs et qui vend des produits hétéroclites aux habitants, surtout des habits. Il nous dit ironiquement : "Ici, nous vivons le cessez-le-feu et on attend l'indépendance..." Les présents adhèrent et approuvent les dires du vendeur. Ce n'est pas vivre, mais résister et espérer Au sujet d'une route secondaire à peine carrossable pourtant récemment réalisée, le maître de l'ouvrage et l'entrepreneur disent n'avoir rien à dire et surtout n'ont pas de compte à rendre puis nous zappent. Le sujet à ne pas évoquer et qui fâche reste celui de l'enveloppe consacrée au pont qui traversent le village, qui n'a jamais était réalisé, mais empochée, selon les citoyens. Une brève rencontre avec un nouvel adjoint, élu lors des dernières élections, est restée infructueuse. Le responsable de l' APC de Khirane à laquelle est rattachée Chemla est resté évasif au sujet du pont. Il promet de faire toute la lumière sur cette affaire qui ne peut rester sans explication et rajoute qu'il y a aussi le projet de 3 forages, pour relancer l'agriculture dans la région et surtout encourager le retour à l'apiculture et l'oléiculture, qui sont connues par les fellahs, mais il faut d'abord assainir le secteur, pourri selon ses dires. La santé, la scolarité, le transport au point mort... Il n'y a pas de bus de transport, hormis celui qui est réservé aux élèves du collège, et qui ne prend pas les écoliers. Personne ne sait qui a pris cette décision mais les écoliers que nous avons rencontrés font plus de 5 km aller et 5 autres retour pour rejoindre leur établissement et ils sont devenus tous des spécialistes en escalades pour le fameux pont de la mort comme on l'appelle ici. Dans la salle de soins de proximité, l'agent que nous avons rencontré dit faire de son mieux avec les moyens du bord. Il n'y a pas le nécessaire pour les accouchements, les citoyens se dirigent de jour comme de nuit à Babar à plus de 40 km, il y a souvent, sinon toujours des complications. S'ajoute un autre sujet avec pépins qui n'est pas des moindres, l'absence de groupe électrogène, sachant que la région pullule de serpents dont des plus venimeux, mais aussi de scorpions. Or, l'antidote – injection anti-scorpion, doit être maintenu au frais – dans un réfrigérateur sans intermittence. Sachant que les coupures de courant sont légion dans la dechra, qui, rappelons-le, n'a toujours pas de transformateur, ni de répartiteur, les citoyens se passent le fil, un compteur peut alimenter douze foyers à lui tout seul ! Nous n'avons pas pu voir l'école, ni les classes, ni la cantine, le jeune directeur exige que nous ramenions de la wilaya de Khenchela une autorisation pour accéder à son établissement. Cette pratique n'est pas nouvelle ou unique, les chefs d'établissement se sont passé le mot, pour garder les portes closes de leurs établissements. La rencontre d'un instituteur qui a bien voulu nous parler et surtout des écoliers, avec qui nous avons sympathisé, nous donne une idée exacte et triste de ce qui se passe, mais aujourd'hui, les écoliers de Chemla peuvent s'estimer gâtés : ils ont mangé du riz alors que dans la dechra voisine, les enfants ont eu du pain sec. H. TAYEB