Dans ce roman qui reprend "L'étranger" d'Albert Camus et "Meursault, contre-enquête" de Kamel Daoud, l'auteur cinéaste et journaliste Saâd Khiari imagine le retour de Marie Cardona, compagne de Meursault, sur le sol algérien. Un voyage qui fera remonter à la surface de douloureux souvenirs, mais aussi acceptation et partage. Après une série d'ouvrages sur l'islam et le dialogue interculturel, le chercheur, journaliste et cinéaste Saâd Khiari a dernièrement publié Le soleil n'était pas obligé, aux éditions Hibr. Un roman qui fait écho à L'étranger et Meursault contre-enquête, respectivement d'Albert Camus et Kamel Daoud. Mais à la différence des œuvres précédemment citées, qui donnent la parole aux personnages de l'une ou l'autre de ces deux parties rongées par l'inimitié, l'auteur choisit de se mettre dans la peau de son semblable, "cet autre" devenu ennemi. L'intelligence de Khiari sera en effet de mettre en avant Marie Cardona, maîtresse de Meursault. Cette dernière se situe entre ces deux frontières : si elle a perdu son amant à la suite du meurtre de "l'Arabe", elle se sent également très proche de "l'ennemi", le frère de l'Arabe justement, qui tout comme elle, a souffert de conséquences de l'acte de Meursault. La mémoire aussi est le thème prépondérant dans cette œuvre intertextuelle, puisque nous découvrons que Cardona, même si elle semble appréhender l'idée de fouler, plus d'un demi-siècle après, le sol de cette terre qui a vu l'amour de sa vie guillotiné, apprend peu à peu à lâcher prise et profiter pleinement de ce séjour qui la réconciliera avec l'Algérie. Cependant, une ombre vient entacher cette écriture qui part d'une bonne intention, et qui est celle de construire les ponts entre le passé et le présent. Dans sa lettre adressée au frère de "l'Arabe" qui se trouve être Kamel Daoud dans ce roman, Marie Cardona, peut-être naïvement, dira : "Personne ne comprenait brusquement pourquoi les Arabes nous faisaient la guerre alors qu'on ne leur avait rien fait". Interrogé sur ce passage lors de la présentation de son livre le 13 février dernier à l'hôtel Sofitel Hamma Garden (Alger), Khiari dira "le personnage de Marie Cardona est un personnage très difficile à cerner pour moi. Parce qu'elle n'a pas fait d'études, elle le reconnaît d'ailleurs. Elle ne comprend pas, elle se disait ‘On était entre nous, on faisait la fête avec trois fois rien. Quand on avait un peu d'argent on cotisait pour aller louer un cabanon... et puis brusquement, on nous fait la guerre'". Et de poursuivre : "D'ailleurs c'est une guerre invisible pour elle car il n'y a pas de soldats. Elle est persuadée qu'elle n'a jamais fait de mal à personne. Elle n'a jamais été raciste, donc elle ne comprend pas". Mais, est-il possible d'occulter l'oppression et la monstruosité, aussi naïf pourrait-on être ? En redonnant vie aux personnages de Raymond, Salamano, ou encore Céleste – l'imaginaire littéraire de Khiari tente de nous plonger dans "la vie après Meursault". Le journaliste voit d' ailleurs dans Salamano un visionnaire, qui mettait déjà en garde contre une guerre destructrice à cause de l'injustice des Français. En somme, grâce la construction complexe de la vie des personnages après la mort de Meursault, et la manière de traiter du passé tout en présageant un futur meilleur pour les deux parties, Khiari tente, finalement, d'aller de l'avant sans déchirer la page du passé. Yasmine Azzouz