Cette situation risque de déboucher sur une crise gouvernementale. Plus d'une semaine après la décision du président de la République, prise lors du dernier Conseil des ministres fin décembre dernier, de retirer le très controversé avant-projet de loi sur les hydrocarbures, l'annonce n'en a toujours pas été faite publiquement par Chakib Khelil. Pourtant, ce dernier, reçu en aparté par Bouteflika en marge de la réunion du 24 décembre 2002, a reçu mission d'informer le peuple du gel de ce texte qui a suscité une levée de boucliers dans la société, en général, et chez le partenaire social, en particulier, affirment des sources informées. Depuis, aucun signal n'est venu du côté du locataire du building de Ghermoul, qui a vécu cette mesure présidentielle, somme toute préventive, comme un camouflet. Le ministre s'est muré dans un “silence assourdissant”, refusant de rendre publique la décision prise à son insu par son ami et néanmoins Président. Le débat s'est brutalement arrêté sur une question, celle de la privatisation de Sonatrach, qui a pourtant alimenté une polémique durant de longs mois. Selon certaines indiscrétions, le Chef du gouvernement, qui a une vision différente — voire divergente de celle du ministre de l'Energie — n'est pas près d'annoncer la décision du chef de l'Etat, préférant que cela soit fait par celui qui a amorcé le débat et la polémique. Le divorce serait-il donc consommé entre le président de la République et son ministre de l'Energie ? Tout le laisse croire. En décidant le gel du projet de loi, Bouteflika est assurément animé par le souci de soigner son image auprès des travailleurs et des citoyens, même s'il risque de contrarier ses amis américains, qui seraient derrière la philosophie du texte Khelil. En refusant d'annoncer la mesure de Bouteflika, par ailleurs président du Conseil national de l'énergie, le ministre tente d'éviter un discrédit public et de sauver ce qui peut encore l'être de son image d'ultralibéral aux yeux des Algériens. De toute évidence, entre les deux hommes, amis de longue date, le courant ne passe plus. Le chef de l'Etat, qui compte sur Khelil pour l'aider dans sa campagne pour un second mandat, donne l'impression d'être déçu par l'attitude de celui qu'on qualifie de ministre du Président. Cette situation risque de déboucher sur une crise gouvernementale et précipiter l'“opération de lifting” dans le cabinet de Benflis. On ne saurait considérer comme un divorce à l'amiable entre le chef de l'Etat et son ministre de l'Energie la rupture qui n'a pas échappé aux observateurs politiques. Faisant face à des tirs groupés sur plusieurs dossiers mal gérés, dont celui des hydrocarbures et la privatisation des entreprises publiques, le chef de l'Etat, pour redorer son blason, pourrait fort bien en venir à sacrifier ses hommes dans le gouvernement. Cette éventualité est d'autant plus plausible aujourd'hui que le chef de l'Etat a demandé à son Premier ministre de privilégier la voie du dialogue avec le partenaire social que représente la puissante centrale syndicale. Le recul du Président, lui qui s'est obstiné à tout privatiser et changer avec fracas, trouve son explication dans la situation à laquelle est confronté aujourd'hui son ami Chavez au Venezuela. Bouteflika, conscient du danger que représenterait un entêtement à mener les réformes version “Temmar, Khelil et Benachenhou” sur sa campagne pour le rendez-vous d'avril 2004, a tiré les leçons nécessaires du séisme qui secoue Caracas. Mesurant l'ampleur et la complexité de la tâche pour briguer un second mandat, il procéderait, selon certaines indiscrétions, à la révision de ses réformes en évitant d'engager “les chantiers à risques”. Aujourd'hui, il est à la recherche du temps perdu, espérant avoir “la paix sociale” pour s'occuper du volet politique de sa campagne. Les mêmes sources avancent que pour tenter de rallier les couches populaires et le monde des travailleurs, Bouteflika est capable de recourir au “travail social de proximité”, seule option devant le conduire à isoler ses opposants qui l'attendent de pied ferme sur ce terrain. Il faut donc s'attendre à ce que le chef de l'Etat surseoie à toutes les réformes qui peuvent lui attirer les foudres des appareils hostiles à sa candidature. Les observateurs et ceux qui connaissent le tempérament du président de la République croient que l'homme est capable de toutes les concessions possibles et pourrait sacrifier tous ses fidèles, et jusques et y compris ses amis, pour s'assurer le maximum de garanties, mais surtout de chances d'être réélu à la magistrature suprême. C'est la logique et les calculs électoralistes qui dicteront et guideront sa démarche dans les prochains mois. M. A. O.