À partir de quel niveau de pertes doit-on considérer une armée comme étant en guerre ? En principe, l'Algérie est un pays en paix, du point de vue du droit international. Mais pas en guerre dans les faits. Et pas une guerre civile, comme veulent sournoisement le faire croire ceux dont l'état de ni guerre ni paix arrange les affaires et ceux qui préfèrent la désertion politique au front de la réalité. C'est une guerre où l'on s'attaque en priorité aux capacités de défense civile et militaire du pays. À moins de considérer que l'assassinat de deux policiers à Zemmouri et de dix soldats à Kenchela, et les attentats qui jonchent l'actualité récente ne sont pas des attaques contre l'Etat, il faut bien admettre que l'agression est récurrente. On peut décréter que l'insécurité des citoyens est marginale si l'on a le courage de fixer un seuil de tolérance au nombre de victimes civiles du terrorisme. Et décider que quatorze personnes égorgées sur la route de Larbaâ ce n'est pas encore intolérable ; ce qui permettrait au charlatanisme réconciliateur de déclarer que “la paix est revenue” parce que l'islamisme n'a plus la force de massacrer des villages entiers. Pourtant, mais le terrorisme, même affaibli, c'est toujours le terrorisme, en ce que son méfait barbare et traître pour survenir à tout moment, n'importe où et contre n'importe qui…ou presque. La sécurité relative, qui fonde le discours de l'arrangement historique, est, par ailleurs, payée par les sacrifices d'hommes en armes qui bravent les mines et les embuscades. C'est tout de même absurde de leur demander de risquer leur vie pour défendre un pays où “la paix est revenue” et de les honorer ensuite comme victimes du terrorisme dans un pays où “la paix est revenue”. Les attaques contre les patriotes, les policiers et les militaires, même plus rares, sont récurrentes. Le casus belli est donc permanent. La concorde civile, qui justifie politiquement l'immunité juridique des terroristes qui veulent en profiter, a ceci de pernicieux : elle ne se limite pas, comme loi, à absoudre les terroristes, elle impose comme discours politique, l'amnésie. C'est-à-dire que non contente de mettre les terroristes hors de portée de la justice, elle interdit leur mise au ban moral. Le terrorisme n'est plus un crime qui a été pardonné ; ce n'est plus du tout un crime ! Et pour que cette concession philosophique vaille le coup, pour que l'absurde soit admis, il fallait que la “paix soit revenue” grâce à la concorde civile. D'où le slogan totalitaire qui a pris le statut de cri de ralliement patriotique ! Pour les victimes, elles n'avaient qu'à ne pas mourir après le 13 juillet 1999. Car, quoi qu'il arrive “la paix” régnera désormais sur le pays. Réelle ou fictive. Elle est la légitimité politique du régime. Et en est donc inséparable. Sans ces victimes, les politiques auraient la paix du côté des éradicateurs et l'islamisme continuerait sa guerre sans qu'on ne la lui impute. Comme quoi les morts dérangent parfois plus que leurs assassins. M. H.