Oui, il faut le dire : le citoyen a perdu toute confiance en ces partis politiques. Ils ne sont plus crédibles, à ses yeux. Ceux de la gauche comme ceux de la droite. Ceux de l'opposition comme ceux de el mouwalat. Ils sont tous rentrés au bercail. Ils sont tous domestiqués. Ainsi, la société algérienne a coupé ses ponts avec les partis. Et l'Algérien se recherche. Le citoyen ou le groupe social en quête d'un nouveau symbole capable de le guider vers un havre. L'Algérien est à la recherche d'une nouvelle référence. À la recherche d'une mémoire future ! Et avec cette faillite annoncée des partis qui se ressemblent, partis clonés, le temps est aux intellectuels modernes, porteurs de lumières. La société algérienne a besoin d'un intellectuel à l'image de Mouloud Mammeri, un intellectuel entre la réflexion et le terrain. Capable de rendre à l'Algérien son algérianité et son optimisme. Capable de lui rendre la forêt et la force du rêve. Une société qui ne rêve pas est une société suicidaire ! Cette société algérienne a besoin d'un autre Mouloud Mammeri capable de mener une résistance douce mais profonde. Des siècles durant, les pouvoirs politiques en connexion avec les pouvoirs religieux ont véhiculé une fausse image de l'intellectuel moderne. Une guerre est déclarée à ces intellectuels sur les tribunes des partis comme sur les minbars des mosquées. Marginaliser l'intellectuel modèle Mammeri, c'est encourager la présence de l'obscurantisme et ainsi renforcer et faciliter la mainmise sur le citoyen égaré. Le résultat de cette guerre menée par les pouvoirs politiques conservateurs et les religieux hypocrites a cultivé une image négative de l'intellectuel moderne, dans l'imaginaire collectif algérien. On peut détecter cette image négative et agressive dans l'inconscient collectif à travers quelques allocutions. Des propos qui ne sont pas innocents. Qui ne sont pas neutres. Ainsi, et pour dénigrer ou pour dévaloriser toute intelligence, définition de tout intellectuel, ils utilisent des expressions telles : "Ma tatfihmach alina" (ne fait pas l'intelligent devant nous !). Ou encore "Boufhama" (celui qui se veut, se voit détenir la compréhension ou l'intelligence). Implicitement ceci signifie le sens contraire : (il n'a rien d'intelligent). Et pour charger la rationalité chez l'intellectuel de lumière, les politiques et leurs alliés religieux usent d'une autre expression : "ma tatfalçafche alia" (ne philosophe pas sur moi ou en ma présence) et ceci signifie inconsciemment : le refus de la raison. Ou encore, et cela pour dévaloriser le sens du savoir porté par l'intellectuel moderne, on lui colle quelques sobriquets péjoratifs, tels boumarraf ou bouarrif (l'homme au savoir !). Pour dire le contraire, quelqu'un qui n'a aucun rapport au savoir ! Toute cette armada discursive a été enfantée pour ridiculiser, pour banaliser, pour minimiser l'image de l'intellectuel porteur des lumières dans sa société. Ou encore pour dire qu'il est hors connexion de son temps. Le but de cette guerre symbolique mais féroce contre l'intellectuel moderne à l'image de Mouloud Mammeri, Kateb Yacine ou Jean Sénac... est de renforcer la place d'un autre modèle intellectuel : le modèle féqih. Et pour cultiver l'image de l'intellectuel féqih dans l'imaginaire algérien, ils ont créé "le jour de la science" (Yawm El îlm) en référence à la pensée conservatrice de l'Association des ulémas. L'image de l'intellectuel modèle est passée de Mouloud Mammeri à cheikh Ben Badis ! Fêter la science et la culture sous un parapluie religieux est un piège historique, en Algérie. Et, dans l'imaginaire algérien, pour que quelqu'un arrive à accéder au statut d'intellectuel, il lui est demandé de se faufiler dans l'image d'un uléma. D'un féqih. Consciemment ou inconsciemment, dans tout intellectuel algérien, sommeille d'une manière ou d'une autre un féqih ! Le poète est d'abord un féqih. Le philosophe est d'abord un féqih. L'historien est d'abord un féqih. A. Z. [email protected]