Ali Kefaïfi est ingénieur civil des mines et de la métallurgie, diplômé de l'université de Nancy, France. L'expert dit les choses telles quelles sont, ne portant pas l'encens et l'encensoir dans la liturgie ; il dresse un constat sans concession de l'état du secteur des mines. Selon lui, nous n'avons rien découvert, dans ce secteur, continuons à pérorer sur des gisements "pollués". Il estime également que l'Algérie est un pays minéralement riche mais pauvre en compétences. Liberté : La loi sur les mines de 2001 a été un échec. De nouveaux amendements lui ont été apportés en 2014, dans l'espoir de donner une seconde vie au secteur des mines. Mais, les résultats sur le terrain ne sont pas encore palpables. La législation pose-t-elle problème ? Ali Kefaïfi : La loi minière de 2001 avait des aspects positifs, avec la création des agences minières, mais l'erreur, tout comme pour les hydrocarbures, a été de croire qu'une loi résout tous les problèmes, alors qu'il ne lui est demandée que de mettre en place un cadre fiscal, règlementaire, évolutif et compétitif. Mais les concepteurs de la loi minière et les experts juridiques de la Banque mondiale ayant travaillé sur cette législation, avaient oublié les véritables objectifs : élaborer une véritable stratégie pour l'industrie minière, découvrir et développer de nouvelles richesses minières, développer les compétences algériennes, acquérir et maîtriser les nouvelles technologies de recherche minières (télédétection, cloud, krigeage, modèles géo scientifiques), débureaucratiser le secteur administratif d'Etat, relativiser la nécessité et l'importance du secteur public marchand pour ce qui est des mines, ouvrir le secteur minier aux Juniors entreprises algériennes et/ou étrangères. Or, en matière de stratégie, l'art de la guerre, l'échec ou la réussite est déterminé par le résultat. Sur ce plan, le résultat est nul, en dépit de plusieurs centaines de géologues et d'ingénieurs des mines formés depuis l'indépendance et qui ont quitté le secteur. La cause principale n'est-elle pas dans l'incompétence des cadres dirigeants de ces dernières décennies ? Nous n'avons rien découvert, continuons à pérorer sur des gisements "pollués" (minerai de fer de Gara Djebilet "phosphoré", manganèse de Djebel Guetara "arsénié", alors que le pays recèle de gisements stratégiques, non pollués, avec des ressources de taille mondiale. Par exemple, à la place de Gara Djebilet, soit 2 à 3 milliards de tonnes de minerai de fer pollué, l'Algérie dispose de 25 milliards de tonnes de minerai de fer non pollué. Et, pourtant, ces deux ressources avaient été découvertes, il y a plusieurs décennies par des ingénieurs français. Il en est de même pour l'uranium où l'Algérie "dort" sur 26 000 tonnes, alors que ses ressources uranifères s'élèvent entre 10 à 70 milliards de tonnes. De même pour le vanadium, le lithium (pour batteries solaires et de voitures), le cuivre, le manganèse, les terres rares, etc. L'administration se réfère à des pratiques d'un autre siècle et ignore l'importance des Juniors entreprises, acteur essentiel dans la prospection minière. La loi de 2014 n'apporte rien et, contrairement à la loi de 2001, sa mise en œuvre est entravée par l'absence de textes d'application. Ainsi, l'administration n'a toujours pas déterminé la liste des substances dites stratégiques. De même, cette administration se réfère à des pratiques d'un autre siècle et ignore l'importance des Juniors entreprises, acteur essentiel dans la prospection minière, importance pourtant démontrée par un Cabinet international Ernst & Young, lors d'un séminaire animé par celui-ci en 2016 auprès du secteur des mines. Il y a quelques années, le pays s'était investi dans des projets phares à l'exemple du gisement d'or de Tirek et d'Amesmassa à Tamanrasset. L'expérience n'a cependant pas été concluante. Etait-ce une erreur de choix de partenaire ? L'expérience n'a pas été concluante, mais cela fait partie des risques du métier. Le problème réside dans le fait que le secteur public ou l'administration ne font pas de bilan, et ignorent le processus de "Trial & Error" et la nécessaire amélioration des processus. Cependant, dans le cas de l'or, le problème est bien plus grave, car l'administration, ou ses outils (ORGM, etc.), ignorent qu'il existe près de 500 sites d'or dans la région du Hoggar. Il semble que les contrebandiers disposent de plus d'instinct que les géologues de l'ORGM. Le projet Tala Hamza à Béjaïa piétine depuis des années. Quelles appréciations portez-vous sur ce projet ? C'est un projet très intéressant, très important pour la région en termes d'emplois, d'économie. Même avec une société étrangère, l'administration continue à tourner en rond. Pourquoi l'Algérie ne favorise-t-elle pas le développement de quelques futurs champions miniers, au sein du vivier des entreprises privées algériennes qui ont démontré leur compétence ? Pourrait-on espérer voir un jour les gisements de fer Gara-Djebilet mis en exploitation commerciale ? La complexité du gisement, marquée par la dispersion statistique des impuretés (phosphore, arsenic) est telle qu'il est difficile de trouver une solution technique économiquement compétitive et d'investir dans 900 km de voie ferrée. Nous recommandons à l'administration de favoriser le projet de recherche et d'exploitation des 25 milliards de tonnes de minerai de fer sans impureté, facilement exploitable (magnétite) et avec des coûts de transport moindre (par minéraloduc). En quels termes doit-on repenser, selon vous, le développement des activités minières dans le pays ? Le développement des activités minières est à repenser à partir de zéro ou presque. Cependant, une équipe d'experts géoscientifiques algériens, dont je faisais partie aux côtés du Pr Nacereddine Kazi Tani, avait travaillé en 2014-2015, élaboré une carte des richesses inconnues par l'administration et présenté une politique de développement de la chaîne de valeur minière. On peut, avec une probabilité élevée, annoncer que le sol algérien contient la plupart des minéraux, dont ceux des industries du futur (économie digitale, batteries solaires et de véhicules électriques...). Ces résultats furent présentés aux responsables du secteur (25 juillet 2015). Ces résultats furent mis dans les tiroirs même si l'administration avait déclaré 2016 – année de la mine en Algérie. Compte tenu de ces richesses minières insoupçonnées, quoiqu'en place depuis plusieurs centaines de millions, voire d'un milliard d'années, l'Algérie finira par faire découvrir ces gisements grâce aux Juniors entreprises qui maîtriseront les nouvelles technologies, à l'image du Maroc qui, ayant commencé dès le début des années 1990, a fini par recenser ses richesses minières il y a quelques années. On peut, avec une probabilité élevée, annoncer que le sol algérien contient la plupart des minéraux, dont ceux des industries du futur (économie digitale, batteries solaires et de véhicules électriques, terres rares pour moteurs électriques, matériaux pour le transport de l'électricité, panneaux solaires, etc.). On peut même considérer que pour chacun de ces minéraux métalliques, l'Algérie dispose d'un potentiel équivalent au potentiel mondial actuel. De ce fait, aux étudiants qui ne savent pas quelle formation choisir, on ne peut que suggérer les études géoscientifiques (géologie, géophysique, géochimie, mines dont économie et droit minier, etc.). L'objectif fondamental est de former, développer les compétences, à savoir des dizaines de milliers de géologues, de géoscientifiques, de spécialistes de droit minier, de cabinets de consultants financiers, de sociétés de sous-traitance, de sociétés de métallurgie, de fabrication de biens d'équipements. Ainsi, dès 2030, l'Algérie pourra diversifier son économie et se hisser au niveau des émergents miniers, tels l'Australie, la République sud-africaine, le Brésil, l'Arabie Saoudite. Y. S.