Les islamistes d'Ennahdha continuent de manœuvrer contre toute réforme haussant le statut de la femme tunisienne, tout en évitant de trop s'exposer sur le terrain. Après plusieurs mois de mobilisation et pression des associations tunisiennes et de certains partis démocrates, le président tunisien, Béji Caïd Essebsi, a lâché du lest en annonçant, hier, lors d'un discours télévisé, un projet de loi consacrant l'égalité dans l'héritage. Le projet sera soumis au vote des députés avant septembre, s'est-il engagé à l'occasion de la Journée de la femme tunisienne. "Je propose de faire de l'égalité dans l'héritage une loi", a-t-il déclaré. "On va inverser la situation", a précisé M. Caïd Essebsi, en faisant de l'égalité la règle, et de l'inégalité une dérogation. "C'est mon devoir en tant que Président de tous les Tunisiens, de rassembler et non de diviser", a-t-il indiqué pour justifier que la loi laisserait la possibilité au testateur soit d'appliquer la Constitution soit de choisir la liberté. Actuellement, la Tunisie s'appuie sur la charia concernant l'héritage, ce que refuse une partie des femmes tunisiennes progressistes, qui mettent en avant la nouvelle Constitution du pays, post-révolution 2011, qui consacre l'égalité entre les Tunisiens. En avril dernier, plusieurs manifestations ont eu lieu à Tunis pour réclamer cette égalité dans la succession. Mais les islamistes se sont mobilisés, eux aussi, contre cette revendication. Cette mesure touchant un principe inspiré du Coran et appliqué dans de nombreux pays arabes, est l'une des plus débattues parmi une série de réformes sociétales proposées par une commission qu'il avait créée, il y a un an, dans le but de traduire dans la loi l'égalité consacrée par la Constitution de 2014. Cette Commission pour les libertés individuelles et l'égalité (Colibe) a suggéré que le patrimoine familial soit partagé par défaut de façon égale entre héritiers hommes et femmes. La loi actuelle, qui s'appuie sur le droit islamique, prévoit qu'en règle générale, un homme hérite du double d'une femme du même degré de parenté. À quelques mois de l'élection présidentielle, Béji Caïd Essebsi joue gros et risque de s'attirer les foudres de son allié au pouvoir, Ennahdha, de Rached Ghannouchi, qui a refusé de rencontrer les membres de la Colibe pour donner son avis sur leur rapport. Car, au fond, Ennahdha joue aussi sa survie dans une Tunisie qui a beaucoup avancé en matière de législation depuis la chute de l'ancien régime de Zine Al-Abidine Ben Ali sur beaucoup de questions liées aux libertés, même si sur le terrain les vieux réflexes demeurent chez beaucoup de responsables politiques et sécuritaires. Officiellement, Ennahdha ne s'est pas encore prononcé sur le rapport de la Colibe et s'est interdit d'affronter tous les collectifs de femmes qui défendent l'égalité entre les Tunisiennes et les Tunisiens. Mais dans les coulisses, Rached Ghannouchi ne perd pas son temps et mobilise ses troupes pour s'opposer à tout projet contredisant la loi islamique. Lyès Menacer/Agences