Le fichier qui subsiste des archives de l'ancienne préfecture d'Alger ne comporte pas les identités de toutes les personnes enlevées en 1957. Le nombre de disparus est beaucoup plus important et les recherches compliquées. De nombreux témoignages continuent d'affluer sur le site 1 000 autres.org, ouvert en septembre dernier par l'association Maurice-Audin et Histoire coloniale.net, à la suite de la reconnaissance par le président Macron de la responsabilité de l'Etat français dans la disparition et l'assassinat du jeune mathématicien et militant anticolonialiste. 1 000 autres.org a publié une liste de dizaines d'Algériens qui ont été, tout comme Maurice Audin, enlevés puis tués, pendant la Bataille d'Alger en 1957. Des proches des victimes se sont, depuis, manifestés pour raconter dans quelles circonstances les enlèvements par l'armée française ont eu lieu et la souffrance qu'ils ont endurée à la suite de l'échec des recherches qu'ils ont entreprises. Dans un long article publié sur le site, Fabrice Riceputi, enseignant d'histoire et responsable d'Histoire coloniale.net, raconte le parcours poignant de la veuve de Mohamed Djebbar, un imam de Koléa, arrêté par les paras pour collecte de fonds au profit du FLN. Cette femme courageuse a fait des pieds et des mains pour retrouver les traces de son mari. Elle avait interrogé les autorités préfectorales françaises d'Alger et visité tous les lieux de détention. À l'indépendance, elle avait encore espoir de voir le disparu réapparaître parmi les milliers d'internés qui avaient été libérés des camps. Elle a pensé aussi qu'il avait dû perdre la mémoire à cause de la torture et qu'il devait errer quelque part. Ses enfants ne lui avoueront jamais que leur père est mort sous la torture et que son frère, détenu en même temps que lui, l'a entendu hurler atrocement de douleur jusqu'à son dernier souffle. "Des centaines de familles, au bas mot, sont aujourd'hui encore, tout comme celle de Maurice Audin, en attente d'informations sur le sort exact d'un ou de plusieurs de leurs parents. Outre les circonstances exactes de leur mort, la localisation de leur corps est évidemment pour elles la principale question", observe Fabrice Riceputi. La liste des disparus de la Bataille d'Alger qu'il a mis en ligne sur 1 000 autres.org provient d'un fichier de l'ancienne préfecture coloniale d'Alger, conservé aux Archives nationales d'Outre-Mer (Anom). Cet inventaire non exhaustif est demeuré secret pendant très longtemps. L'enseignant d'histoire explique dans quelles conditions il a été élaboré et comment les autorités coloniales ont procédé pour le dissimuler. Il révèle notamment que le fichier a été constitué bien après la fin de la Bataille d'Alger pour calmer les familles qui tenaient des rassemblements devant les locaux de la préfecture. Des demandes persistantes d'éclaircissement sur le sort des personnes disparues provenaient aussi d'autres parties, des avocats, des employeurs et des services publics comme les hôpitaux ou encore la radio où des postes laissés vacants se comptaient par dizaines. Faisant semblant d'enquêter, la préfecture a recueilli des informations auprès des parents et a listé les noms des disparus. Mais quand Me Maurice Garçon, secrétaire général de la Commission de la sauvegarde des droits des libertés individuelles, a réclamé cette liste, la préfecture a refusé de la lui donner. Pour cause, l'inventaire allait appuyer un rapport commandé par le gouvernement de Guy Mollet, suite aux accusations de pratique massive de la torture par l'armée. Paul Tetgein, qui était à l'époque secrétaire général de la police d'Alger, était également au courant de l'ampleur des disparitions. Il avait écrit une lettre de dénonciation à François Mitterrand, alors garde des Sceaux, indiquant que "des hommes disparaissaient sans laisser de traces, que certains étaient enterrés avec de faux permis d'inhumer et d'autres jetés à la mer dans des sacs lestés, la face mutilée pour qu'on ne les reconnaisse pas". Répugné par les pratiques des paras qu'il avait assimilées à "des crimes de guerre" comparables à ceux de la Gestapo, Paul Tetgein avait démissionné. La police n'avait de toute façon aucun pouvoir face à l'armée qui multipliait les arrestations et les détentions extrajudiciaires dans des lieux non répertoriés, les interrogatoires sous la torture ainsi que les exécutions sommaires. Dans son article, Fabrice Riceputi précise que "l'enlèvement par surprise" était particulièrement préconisé. À la fin de 1958, 2 000 disparus ont été recensés par les services de la préfecture, sur la base des déclarations des familles. Mais le fichier qui a été retrouvé aux Anom ne comporte que 850 noms. Paul Tetgein a évalué, pour sa part, les enlevés, à un peu plus de 3 000. Où sont-ils tous ? Personne ne sait. Outre la France, l'Algérie doit aussi, selon Fabrice Riceputi, entreprendre des recherches, en enquêtant sur l'existence de fosses communes et de charniers datant de l'époque coloniale. S. L.-K.