"La vie politique s'emballe", aurait pu titrer un journal en ce début d'année. Mais ce serait quelque peu cynique de parler de vie, s'agissant de ce qui nous tient lieu d'activité publique, tant la mort remplit notre quotidien. Il est d'ailleurs tout aussi inconvenant de parler de vie "publique", tellement l'opacité, le secret et la clandestinité sont caractéristiques de l'action de notre réalité politique. Animation feutrée et vigueur criminelle règlent donc notre vie et surtout notre mort. Le terrorisme impose au pays un début d'année sanglant. Le silence des autorités et de l'ersatz de classe politique rend encore plus insupportable cette sensation d'être à la merci d'un terrorisme sans cesse ravivé parce que, finalement, il est le seul à jouir du soutien de l'Etat. L'ANP, qui vient de perdre des dizaines de ses hommes, se mure dans un mutisme gêné. Habituée à accuser le coup, qu'il s'agisse des crimes dont elle est accusée et dont des apprentis sorciers font commerce dans leurs pays d'accueil ou des crimes bien plus réels dont elle est victime, elle ne semble plus réagir qu'aux commentaires inconvenants de journalistes et aux croquis irrévérencieux de caricaturistes. Le pouvoir politique, lui, par El Moudjahid interposé, trouve étrangement dans la cascade de massacres motif à chanter encore plus fort la concorde civile. Sans terrorisme, diriez-vous, il n'y aurait pas de concorde civile et inversement la solidarité entre les deux démarches s'impose d'elle-même. Nahnah et Djaballah ne s'y sont jamais trompés, qui, après chaque massacre, se présentent à Bouteflika pour demander un peu plus de concorde. En toute logique, si le terrorisme appelle des concessions, plus de terrorisme appelle plus de concessions. La fermeté ne concerne plus que le mouvement citoyen. Le pouvoir vient de remobiliser, pour la noble tâche, ses soutiens locaux. Ceux-ci n'ont pas fait dans le détail : ils le néantisent purement et simplement. Les délégués en grève de la faim sont des fantômes, mais on souffre tout de même l'existence secrètement reconnue de ceux qu'on pourchasse par le truchement d'occultes messagers. On n'en est pas à la première incohérence et l'intervention des notables locaux n'a jamais été faite pour clarifier une situation déjà passablement compliquée par le mépris, la répression et la manœuvre. Même quand les jours des délégués sont en jeu, les alliances douteuses et les arrangements clandestins prennent le pas sur la gestion politique et la transparence. Même quand la vie de soldats et de citoyens est en question, le silence répond au tourment que le régime ne semble point partager avec son peuple. Voyez le Sénat : il s'inquiète, entre deux massacres, de l'hégémonie islamiste sur les institutions. Car ce n'est pas grave qu'ils occupent le pays et qu'ils assassinent par monts et par vaux : les sénateurs ne veulent sauver que leur palais ; les maquis, on ne les y prendra jamais. Le pays pourra-t-il supporter encore longtemps un système dont la survie impose une vie politique parallèle, sans lien avec l'angoisse des Algériens ? Quelle est cette vie politique qui vit de la mort des citoyens ? M. H.