Ce qui distingue l'affirmation de Sidi-Saïd quant au maintien au pouvoir du chef de l'Etat sortant du reste des hypothèses émises jusqu'ici, c'est qu'elle évoque l'élection, alors que, par ailleurs, on parle de prolongation de son mandat actuel. Le secrétaire général de l'Union générale des travailleurs algériens (UGTA), Abdelmadjid Sidi-Saïd, un homme qu'il faudra peut-être écouter parler, tant il a la fréquentation facile dans les hautes sphères du pouvoir où il compte plus d'un confident, est allé avant-hier à Oran pour, tel un héraut avertissant de l'imminence d'un événement intéressant la communauté, annoncer, d'un ton convaincu et certain, que le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, sera candidat à sa propre succession en 2019. Le patron de la Centrale syndicale ne semble nourrir aucun doute par rapport à cette éventualité, contrairement à bien d'autres acteurs politiques qui demeurent encore prisonniers de l'incertitude quant au scénario qui prévaudra pour avril prochain, entre un 5e mandat pour Bouteflika, présentation d'une candidature de substitution, ou report de l'échéance. Sidi-Saïd, qui s'est exprimé en présence de deux ministres, du wali d'Oran et des cadres syndicaux de l'UGTA, a, en effet, tranché pour la reconduction de Bouteflika par la voie des urnes. "En 2019, nous avons un grand rôle à jouer pour que le candidat de tous les Algériens soit élu avec le plus gros pourcentage possible", a-t-il affirmé, comme pour exhorter les travailleurs affiliés à son organisation à se mobiliser pour un vote en faveur de Bouteflika. Soit. Cependant, la question qui pourrait être soulevée, après avoir entendu l'homme fort de l'UGTA parler ainsi, est de savoir si le propos exprime un vœu personnel ou trahit une résolution prise sinon en haut lieu, du moins au niveau d'un clan auquel il appartiendrait. Difficile d'oser une affirmation, même si un certain nombre d'indices inciteraient à prendre au sérieux l'annonce de Sidi-Saïd. D'aucuns savent, en effet, que la Centrale syndicale serait forcément partie prenante de l'option pour laquelle le régime opterait. L'UGTA, depuis au moins le regretté Benhamouda, a toujours été associée dans les choix politiques lourds, et il n'y a pas de raison pour que les termes de cette équation changent aujourd'hui. L'idée d'un 5e mandat chez Sidi-Saïd ne serait donc pas si saugrenue qu'elle puisse paraître. En tout cas, celui-ci ne se serait pas rendu à l'exhortation des travailleurs pour une mobilisation derrière Bouteflika si la reconduction de ce dernier relevait de la chimère. D'ailleurs, à bien y regarder, ce que la voix solitaire, pour le moment, du patron de la Centrale syndicale tranche, c'est le mode opératoire qui prévaudra dans cette velléité de reconduire Bouteflika. Ce qui distingue l'affirmation de Sidi-Saïd quant au maintien au pouvoir du chef de l'Etat sortant du reste des hypothèses émises jusqu'ici, c'est qu'elle évoque l'élection, alors que, par ailleurs, on parle de prolongation de son mandat actuel. Aussi, s'il semble y avoir des divergences sur la manière de pérenniser le règne de Bouteflika, la finalité, elle, reste la même, pour les uns et les autres au sein du système. Cela dit, l'une comme l'autre, les deux options qui seraient en compétition présentent les mêmes difficultés. La réélection de Bouteflika devra se faire sans son implication dans la campagne électorale, voire sans apparition publique carrément, car l'on se demande s'il a la capacité de prêter serment, étant donné son état de santé. Chemins distincts, même finalité La prolongation de son mandat actuel, qui suppose le report du rendez-vous d'avril prochain, nécessite de satisfaire à une condition constitutionnelle, chose qui n'est pas possible, à moins de provoquer une situation de guerre. Le report de l'élection présidentielle, une hypothèse qui accapare le débat en ce moment, est en vérité imaginée comme la meilleure manière de garder Bouteflika à la magistrature suprême au-delà de 2019 sans qu'il ait à subir l'éprouvante épreuve des joutes électorales. Et vouloir lui épargner cette épreuve, c'est incontestablement attester de son incapacité à assumer pleinement les charges d'un chef d'Etat. Aussi, que ce soit par la voie des urnes ou à travers un tout autre artifice, la reconduction de Bouteflika signifie le maintien du statu quo, avec le grand risque de voir le pays s'enfoncer plus profondément dans l'impasse dans laquelle il se trouve aujourd'hui. Une impasse qui est en grande partie le fait de Bouteflika dont la pratique politique a cassé tous les ressorts qui auraient pu permettre aujourd'hui une succession moins problématique. La gouvernance, longue de quatre mandats, qu'il faudra évaluer, n'a pas produit, cela est une certitude, les conditions de transmission de pouvoir apaisée. Son règne n'a pas permis l'émergence de leaders à même d'être cooptés et adoubés par le système pour une succession. En dehors du système, son règne est des plus difficiles sous lequel l'opposition a eu à évoluer. En 20 ans de pouvoir, Bouteflika s'est employé, grand manœuvrier qu'il est, à casser les ressorts de la classe politique, ceux de l'opposition en premier chef. Il s'y est employé à travers, notamment, le verrouillage systématique du champ de l'expression politique, qu'il s'en ressent fortement comme un brin de fébrilité chez l'opposition aujourd'hui. Et ce n'est pas une bonne nouvelle pour le pays quand le système et l'opposition se retrouvent dans l'incapacité de transcender une situation de crise. Alors, vont-ils encore oser maintenir Bouteflika, malgré tous ces dégâts sous sa gouvernance ? Sofiane Aït Iflis