Le plan comptable et le bilan financier ont été adoptés en violation du statut et des prérogatives de la commission exécutive nationale. Tous les syndicalistes qui se sont opposés à la politique et à la manière de diriger de Sidi Saïd ont été marginalisés et parfois éjectés de l'organisation. Depuis près d'une année, tous les organes de l'Union nationale des travailleurs algériens (UGTA) activent dans l'illégalité juridique et statutaire, alors que le mandat de Abdelmadjid Sidi Saïd, secrétaire général de ce syndicat, proche et allié du pouvoir, a déjà expiré. De nombreux syndicalistes, ayant milité au sein de cet organisme durant des décennies, ne manquent pas de se poser aujourd'hui cette question lancinante : pourquoi Sidi Saïd continue-t-il à diriger ce syndicat et à parler au nom des travailleurs alors qu'il devrait penser à organiser le 12e congrès de l'UGTA qui devait avoir lieu en mars 2013 ? Pour comprendre, il faut revenir au statut de la centrale syndicale, adopté lors du 10e congrès de l'UGTA tenu en octobre 2000, où l'article 34 stipule que «le congrès national, instance suprême de l'UGTA, se réunit en session ordinaire tous les cinq ans ; il peut être convoqué en session extraordinaire à la demande des deux tiers des membres de la commission exécutive nationale (CEN)». Ce qui n'a jamais été fait depuis le 29 mars 2008, date de la tenue du 11e congrès qui a vu la reconduction de Sidi Saïd à la tête de l'UGTA, un poste qu'il occupe depuis le 10e congrès d'octobre 2000, succédant au défunt Abdelhak Benhamouda, assassiné en 1997. En 2008 et malgré un bilan très contesté, en plus des conditions antidémocratiques où les délégués de wilaya ont été désignés et non élus par la base, personne ne s'est porté candidat au poste de secrétaire général. Sidi Saïd a régné durant près de 14 ans à la tête de l'UGTA, qu'il continue de diriger hors du mandat légal. «Toute la commission nationale présidée par Sidi Saïd est dans une situation d'illégalité juridique et statutaire, car elle continue d'exercer en violation de l'article 169 du règlement intérieur de l'UGTA adopté par la CEN lors de sa session tenue en janvier 2002 et qui précise clairement que toute instance dont le mandat est arrivé à terme, et qui n'a pas tenu son congrès après trois mois du délai d'expiration de son mandat statutaire est considérée dissoute, et sera remplacée par une commission transitoire chargée de préparer le congrès», précisent des membres de la centrale syndicale, qui s'inquiètent de cette situation d'illégalité dans laquelle se trouvent les instances dirigeantes de l'UGTA, avec un secrétaire général qui se permet de violer le statut de ce syndicat en toute impunité. «Le plus grave dans ce manège est la marginalisation, depuis 2008, de la CEN, composée de 285 membres, dont le rôle est primordial au sein du syndicat puisque c'est à cette CEN, élue par les congressistes, que revient la mission d'élire le secrétaire général lors du congrès, en vertu de l'article 45 du statut de l'UGTA», nous confie un cadre de l'UGTA sous le couvert de l'anonymat. La commission exécutive mise au frigo La CEN, qui ne s'est pas réunie depuis mars 2008, est l'instance suprême de l'UGTA dans l'intervalle entre deux congrès (article 41 du statut de l'UGTA), elle doit se réunir tous les six mois (article 42), doit veiller au respect des statuts et du règlement intérieur, discuter et adopter le budget de l'UGTA et contrôler la gestion financière de l'Union (article 45), alors qu'il lui revient également de convoquer et de préparer le congrès de l'UGTA. Il faut noter aussi qu'en vertu de l'article 50 du statut de l'UGTA, «le secrétaire général et le secrétariat national sont responsables devant la CEN dont ils exécutent les décisions et recommandations». «Or, sur le terrain, il n'y a point de CEN, car c'est le secrétariat national présidé par Sidi Saïd et ses proches collaborateurs qui est en train de jouer le rôle de la CEN», révèlent des syndicalistes. Tous ces cadres s'interrogent sur le contrôle de la gestion financière suivant le plan comptable national et l'adoption du bilan financier annuel de l'UGTA qui figure parmi les prérogatives de la CEN en vertu de l'article 58 du statut de l'UGTA, alors que cette CEN ne s'est pas réunie. «Comment ont été adoptés les bilans financiers de l'UGTA depuis 2008 à ce jour et par qui ?» s'interrogent de nombreux syndicalistes. Devant ces faits, plusieurs cadres de l'UGTA contestent vivement la mainmise de Sidi Saïd sur les structures de la centrale syndicale, où il décide seul du sort de ses détracteurs. «Sidi Saïd a monopolisé tous les pouvoirs, allant jusqu'à mettre au frigo la CEN, la privant de toutes ses prérogatives pour pouvoir décider seul, et quiconque n'osera le contester, sinon il sera sanctionné de la manière la plus autoritaire», poursuit un membre de la centrale. «Maintenant, Sidi Saïd fait ce qu'il veut à l'UGTA dans l'illégalité totale ; il installe les fédérations des différents secteurs d'activité, désigne des secrétaires de wilaya dans des wilayas où il n'y a pas eu d'élections depuis des années, parle au nom des fédérations au sein des tripartites et personne, au sein de l'UGTA, ne parvient à contester ses pouvoirs parce qu'il a imposé une chape de plomb aux vrais militants, avec l'appui des pouvoirs publics», soutient notre interlocuteur. Silence complice du ministre du Travail On ne peut expliquer la situation qui prévaut actuellement au sein de l'UGTA sans évoquer le rôle majeur joué par les pouvoirs publics représentés par le ministère du Travail, qui doit veiller au respect de la loi sur l'activité des syndicats. «Que ce soit Tayeb Louh, qui était à la tête du ministère du Travail, ou l'actuel ministre Benmeradi, personne n'a osé faire respecter les dispositions de la loi 90-14 relative à l'activité des syndicats et à l'exercice du droit syndical, concernant ce qui se passe actuellement à l'UGTA, dont les instances sont dans une situation d'illégalité juridique et statutaire», déclarent des cadres de la centrale syndicale. Pour ces derniers, tout cela montre que l'Etat, à travers ses hautes autorités, veille à ce que la loi ne soit pas appliquée avec rigueur pour l'actuelle UGTA, reconnue comme étant le «syndicat officiel du pouvoir» et son unique partenaire social, et qui reçoit également des subventions généreuses de la part de l'Etat. «L'inquiétude persiste toujours sur la question de savoir qui peut sauver le droit à l'exercice syndical des mains d'opportunistes parmi les carriéristes et les retraités et des personnes qui cumulent des fonctions pour qui les intérêts des travailleurs n'ont jamais fait partie de leurs préoccupations, car ils sont prêts à tout faire pour défendre les leurs», affirment d'anciens syndicalistes. Ces derniers soutiennent que l'Etat fait tout pour maintenir cette situation afin de bloquer toute velléité de protestation sociale ou de mouvements de grève qui pourraient être déclenchés, sachant pertinemment que toute grève ne pourra avoir lieu en présence de sections syndicales en situation d'illégalité statutaire. Mais il ne faut pas oublier que le pouvoir a surtout besoin d'un syndicat maison qui lui assure le soutien recherché. Ce qui ne s'est pas fait attendre, sachant que Sidi Saïd a été parmi les premiers à soutenir la candidature de Bouteflika pour le fameux 4e mandat. Un soutien qui ne cadre pas avec le statut de la centrale, où l'on peut lire dans son article premier que «l'UGTA est une organisation syndicale revendicative, libre et indépendante de toute tutelle partisane, administrative et patronale». Tous les syndicalistes ayant témoigné sous le couvert de l'anonymat pour dénoncer cette situation qui prévaut encore au sein de l'UGTA, révèlent qu'il n'y a pas de liberté de critique au sein des différentes instances de ce syndicat. «Tous les syndicalistes qui se sont opposés à la politique et la manière de diriger de Sidi Saïd ont été marginalisés et parfois éjectés de l'organisation, d'autres ont été sévèrement et abusivement sanctionnés», a soutenu un cadre de la centrale syndicale. Les plus tenaces ont été déchus de leurs responsabilités sur décision de Sidi Saïd lui-même, contrairement aux dispositions du règlement intérieur de l'UGTA (articles 139 à 146) ; ils attendent leur présentation devant le conseil de discipline. Une attente qui peut durer plusieurs mois, alors que les recours des syndicalistes sanctionnés ne verront jamais de réponse. Seul Sidi Saïd décidera de leur sort. L'on se rappelle de ceux qui ont osé dénoncer avec courage les pratiques des cercles de l'UGTA à travers la presse et qui ont été bannis des rangs de la centrale syndicale avant d'être relégués aux oubliettes.