Après avoir pris à la légère l'ampleur de la crise sociale qui a poussé les Soudanais à la révolte, le président du Soudan joue l'apaisement à coups de promesses politiques, mais continue de réprimer les manifestants dans la rue. Des nouvelles manifestations ont marqué la fin de l'année 2018 au Soudan, où des milliers de personnes sont sortis dans la rue de la capitale Khartoum, mais également dans plusieurs autres villes du pays, ont rapporté les médias locaux, évoquant des dizaines de blessés dans la vague de répression qui a émaillé la marche vers le Palais présidentiel. Si aucun bilan officiel n'était disponible pour ce dixième jour de contestation, exigeant le départ du régime, la presse évoque des morts parmi les manifestants, victime d'une meurtrière répression de la part des forces de l'ordre qui ont tiré à balles réelles, selon des témoins et des ONG. Lundi après-midi, la police et l'armée ont empêché en effet les manifestants d'atteindre le Palais présidentiel, essuyant des tirs à balles réelles et des gaz lacrymogènes, a-t-on appris auprès des initiateurs de cette marche, la deuxième du genre en moins d'une semaine. Après avoir tenté vainement de faire plier Khartoum pour revoir la hausse des prix du pain qu'il a décidée, les Soudanais sont passés à l'exigence de la démission du Président, au pouvoir depuis presque 30 ans. Les manifestations de lundi ont eu lieu à l'appel d'une organisation de la société civile, l'Association soudanaise des professionnels, à marcher jusqu'au Palais présidentiel. Une foule d'hommes et de femmes scandait "Liberté, paix et justice" et "La révolution est le choix du peuple", en réponse au discours de Khartoum accusant les manifestants d'être à la solde des puissances étrangères qui chercheraient à scinder le Soudant en plusieurs micro-pays, après l'avoir amputé de sa partie sud, devenue aujourd'hui le Soudan du Sud, un pays à part entière. Pour rappel, au moins 19 personnes, dont deux membres des forces de sécurité, ont été tuées depuis le début du mouvement le 19 décembre, affirment les autorités selon lesquelles la plupart des manifestants ont été victimes d'incidents liés au pillage. Mais Amnesty International évoque un bilan de 37 morts. Le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a dénoncé l'usage disproportionné de la violence policière pour empêcher des manifestations pacifiques contre la misère sociale et une crise économique que vit ce pays, sous l'emprise d'un Omar al-Bachir toujours recherché par la justice internationale pour crimes présumés contre l'humanité dans la guerre au Darfour. Dimanche, M. Béchir a fait volte-face et s'est disculpé d'être l'ordonnateur de la vague de répression qui a échoué à faire taire la colère populaire. Il a appelé la police à s'abstenir de recourir à une force excessive contre les manifestants, après avoir constaté que la colère sociale s'est transformée progressivement en un mouvement populaire à revendications politiques. Pour rappel, le Soudan a perdu trois quarts de ses réserves pétrolières depuis l'indépendance du Soudan du Sud en 2011, le pays a vu l'inflation s'établir à près de 70% annuellement, tandis que la livre soudanaise plongeait face au dollar américain. Des pénuries de pain et de carburants touchent plusieurs villes. Mais l'enfermement du régime de Khartoum sur lui-même et le règne quasi absolu d'al-Bachir durant des décennies, comme cela est le cas dans la majorité des pays africains, ont aggravé le marasme social et économique. Lyès Menacer