"Désormais, c'est à nous producteurs qu'incombe la tâche de mieux nous organiser et faire valoir nos droits, tout en prenant en compte le pouvoir d'achat du consommateur", indique le président du Conseil interprofessionnel de la filière pomme de terre. La réunion ayant regroupé, hier, les différents acteurs de la filière pomme de terre avec le secrétaire général au ministère de l'Agriculture, du Développement rural et de la Pêche, Kamel Chadi, a débouché sur "l'élaboration d'une feuille de route, visant à mieux organiser cette filière et la mise en place de mécanismes de régulation des prix", a indiqué, à Liberté, Hacène Guedmani, président du Conseil interprofessionnel de la filière pomme de terre. Selon ce dernier, pas moins de 34 wilayas ont pris part à cette réunion, laquelle avait pour principal objectif d'exposer les problèmes et les attentes des producteurs, notamment en cette période où les prix de ce tubercule connaissent une chute libre. "Nous avons trouvé une oreille attentive et le SG du ministère nous a assurés du soutien de la tutelle et nous a exhortés à formuler des propositions concrètes", a assuré M. Guedmani. Et de préciser : "Désormais, c'est à nous producteurs qu'incombe la tâche de mieux nous organiser et de faire valoir nos droits, tout en prenant en compte le pouvoir d'achat du consommateur." Selon notre vis-à-vis, avec la conjoncture économique actuelle, caractérisée par la baisse drastique du pouvoir d'achat, le consommateur devrait débourser 40 à 45 DA pour un kilogramme de pommes de terre. "C'est un prix que nous jugeons juste et équitable. Il ne pénalise pas le citoyen et fait vivre les producteurs", a-t-il estimé. "Les petits producteurs sont voués à disparaître" Interrogé à propos de la production de pomme de terre d'arrière-saison, notre interlocuteur a affirmé qu'elle s'annonce "abondante" à l'échelle nationale. "Preuve en est, ses services prévoient une production allant de 1,8 à 2,2 millions de tonnes, soit une hausse de 30% par rapport à l'exercice 2017. Cette quantité record va couvrir tous les besoins nationaux pour cette période de l'année", a-t-il souligné. D'après M. Guedmani, cette augmentation de la production nationale est, en partie, liée aux conditions climatiques favorables, ainsi qu'à la réduction des maladies et au développement des mécanismes de production. "Nous avons eu une bonne pluviosité juste après la campagne de labours et semailles et nous avons été épargnés par le gel et les maladies. Pour toutes ces raisons, on s'attend à une récolte record et des prix relativement bas pour le consommateur final", précisera le président national du Conseil interprofessionnel des cultivateurs de pomme de terre. Il est vrai que les prix de ce tubercule se sont littéralement effondrés ces dernières semaines, passant de 60 DA à 30 DA le kilogramme, voire 28 dans certains marchés. C'est là que le bât blesse pour M. Guedmani, pour qui, le seul perdant dans cette baisse des prix est le producteur. "La pomme de terre se négocie entre 18 et 25 da/kg à peine sortie de terre. Certains grossistes, notamment ceux de Souk Lakhmis et de Chelghoum Laïd (wilaya de Mila, ndlr), fixent les prix", précisera notre interlocuteur. Ce dernier souligne également que ces prix sont "largement insuffisants" pour couvrir les frais d'investissement, tout en sachant que pour cultiver un hectare de pommes de terre, les producteurs n'investissent pas moins de 120 millions de centimes. "Nos agriculteurs n'ont aucune marge bénéficiaire sur leur production. D'ailleurs, je le dis et je l'affirme, certains producteurs travaillent à perte avec un tel prix de revient", a-t-il affirmé, avant de détailler ces arguments. "Les prix des intrants explosent, la main d'œuvre se fait très rare, sans parler des semences et des problèmes de stockage. À 22 DA le kilogramme et après avoir déduit toutes les charges, il ne reste plus rien aux producteurs, surtout les petits, et avec le temps, ils sont voués à disparaître", s'est-il alarmé. Le Syrpalac, ce "pompier pyromane" L'exemple de cette production record est la wilaya de Bouira où la Direction des services agricoles (DSA) locale prévoit plus d'un million de quintaux de pommes de terre d'arrière-saison. D'ailleurs, la récolte bat son plein dans la wilaya et un rendement allant jusqu'à 500 quintaux à l'hectare est constaté ces jours-ci. Ceux qui attendaient un rendement ne dépassant pas 300 q/ha ont dû revoir leurs prévisions à la hausse. Certes, les parcelles cultivées ayant atteint 500 q/ha sont celles qui ont bien été traitées en matière de produits phytosanitaires, engrais et entretien. Autrement, dans l'ensemble, c'est la moyenne de 300 à 400 q/ha qui a été observée, notamment sur les plateaux de la commune d'El-Esnam qui ont bénéficié du système d'irrigation à partir du barrage de Tilesdit. Et également sur les périmètres de la commune d'Aïn Bessam qui sont à leur tour arrosés par les eaux du barrage d'Oued Lakehal, réservé particulièrement à l'irrigation. Contacté afin d'avoir son avis sur le sujet, Mustapha Bouzini, vice-président du Conseil interprofessionnel de la filière pomme de terre locale, s'est félicité de ce rendement qu'il a qualifié d'excellent. Néanmoins, il n'a pas hésité à tirer à boulets rouges sur le Système de régulation des produits agricoles de large consommation (Syrpalac). Pour notre interlocuteur, cet organisme ne s'est nullement manifesté auprès des producteurs, afin de leur acheter leur production, la laissant ainsi entre les mains "malveillantes" des spéculateurs en tous genres. "Les responsables de cet organisme (Syrpalac, ndlr) n'ont, pour l'heure, montré aucun intérêt pour notre marchandise", a-t-il regretté. Cet "abandon" de la part du Syrpalac n'augure rien de bon d'après M. Bouzini, puisque selon lui, toute cette surproduction devrait être stockée, dans le but de la ressortir aux mois d'avril et mai prochains. À en croire M. Bouzini, le Syrpalac joue le rôle de "pompier pyromane", dans la mesure où, d'après lui, au lieu de prévenir une hausse des prix en procédant au stockage de ce tubercule au moment opportun, il ferait exactement l'inverse de sa mission, provoquant ainsi l'envolée des prix. "Au rythme où vont les choses, une flambée des prix est plus prévisible. Le système de régulation est défaillant au niveau de Bouira", a-t-il tranché. Autre facteur qui pénalise la filière pomme de terre à Bouira, selon notre vis-à-vis, c'est celui de la stagnation, voire la régression, de la superficie dédiée à cette culture. "Nous constatons avec impuissance la stagnation de la superficie cultivable, voire sa régression, du fait que de nombreux agriculteurs ont fait faillite et ont purement et simplement abandonné ce créneau", a-t-il déploré. Enfin, le vice-président du Conseil interprofessionnel de la filière pomme de terre de Bouira a tenu à interpeller le département d'Abdelkader Bouazghi sur la "nécessité" d'ouvrir les portes du dialogue à l'ensemble des acteurs de cette filière. "Nous souhaitons des réunions élargies à l'ensemble des professionnels du secteur, car chaque wilaya a ses propres caractéristiques et problèmes à soumettre", a-t-il conclu. RAMDANE BOURAHLA